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BD Puchol-ManginLes secrets de Jeanne - Actualité

Le règne des idées reçues

André Cherpillod, Juin 2014.

Selon la rengaine bien connue, la France est « le pays des Droits de l'homme ». Effectivement, ce fut vrai, en un temps déjà lointain où ces droits n'existaient encore nulle part au monde.

Mais de nos jours, dans notre beau pays, s'il est un droit dont on ne jouit pas, c'est celui de s'élever contre la dictature des idées dominantes. La Pucelle Jeanne en est un fort bel exemple. L'appeler autrement que “Jeanne d'Arc”, nom qu'elle n'a jamais utilisé et qui ne fut fabriqué qu'en 1456, c'est déjà être en odeur d'hérésie. Chuchoter qu'elle n'est née ni en 1412 ni à Domremy, ce que rien ne prouve, vaut à l'auteur de ces dires d'être mis au ban de la société des historiens agréés par le bon goût et validés par l'Université. Et prétendre que le fameux bûcher de Rouen ne fut qu'un simulacre, voilà qui amasse des charbons ardents sur la tête de l'auteur de cette théorie ; pourtant, elle se maria cinq ans après ce mémorable bûcher et fut reconnue comme l'authentique Pucelle par tous les bourgeois d'Orléans, qui étaient bien placés pour la connaître, par Baudricourt, par Regnault de Chartres, par Gilles de Rais, par la duchesse de Luxembourg et par bien d'autres.

Mais parler de tout cela à voix haute, c'est un péché, car l'infaillibilité pontificale en a décidé autrement. Alors, n'hésitez pas, affirmez sans rire que trois ou quatre saints sont descendus du Paradis pour discuter avec Jeanne “d'Arc”, gardeuse de brebis, et lui ont enseigné le bon français, l'art de l'équitation et celui de l'artillerie, présentez-la sur son bûcher serrant tendrement un crucifix sur son sein, montrez son âme s'envolant gaiement vers un céleste empyrée peuplé d'angelots joufflus, et toute la bonne société vous encensera, les yeux humides d'attendrissement. De prestigieux éditeurs vous accueilleront, les bras et le compte bancaire grands ouverts. Votre roman sera en bonne place dans tous les supermarchés. Vous aurez le droit de le placer dans la Bibliographie relative à Jeanne d'Arc de Wikipedia, toujours à genoux devant les idées dominantes. Vous serez même cité au petit écran, voire invité, par Stéphane Bern ou par Franck Ferrand.

En revanche, fustigez les rêveries puériles de Michelet, dénoncez les enchevêtrements de truquages de Régine Pernoud, étalez les niaiseries à l'eau bénite de Colette Beaune, montrez le vide absolu des arguties retorses d'Olivier Bouzy, présentez tout cela documenté de la façon la plus solide et bourré de références précises aux textes d'époque, et vous ne verrez plus les éditeurs que de dos. Ils ne vous répondront même pas par un refus poli. Pour eux, c'est simple, vous n'existez pas. Le seul droit que vous avez, c'est celui de vous taire : le Vatican a parlé, l'Université a dit “amen” en courbant la tête. Imitez-la.

Vous publierez votre ouvrage à compte d'auteur. Il ne sera diffusé que de façon fort confidentielle. Pas un journal ne le citera. Pas une bibliothèque ne l'acquerra. Pas un libraire ne le mettra dans sa vitrine. Si vous tentez de le placer dans la Bibliographie relative à Jeanne d'Arc de Wikipedia, il en sera retiré impitoyablement dans les secondes qui suivent ; pourtant, la foison d'erreurs cocasses de Wikipedia, jointe au niveau sous-médiocre de sa syntaxe et de son orthographe, devrait engager ses souverains décideurs à un peu de modestie.

Mais vous aurez une immense satisfaction, vous éprouverez une jouissance sans pareille, qui manque probablement, quand ils sont face à leur conscience, aux fonctionnaires du savoir qui s'époumonent sur le mythe “sainte Jeanne d'Arc qui a sauvé la France” et aux éditeurs heureux d'être à leur remorque : celle d'avoir travaillé, si peu que ce soit, à faire avancer la Vérité. D'ailleurs, on y vient peu à peu, on y vient…

Émile Zola avait raison : la Vérité est en marche, et rien ne l'arrêtera.

André CHERPILLOD

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