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Château de BourlémontLes secrets de Jeanne - De Domremy à Chinon

Jeanne au château royal de Chinon

proposé par Bernard Orliange

Nancy, Vaucouleurs, Chinon, Loches, Beaulieu, Beaurevoir, Le Crotoy, Rouen, Arlon, Jaulny, Autrey, Richardménil… que de châteaux pour la " bergère illettrée " !

Découvrons le château de Chinon, étape importante dans le parcours de Jehanne du Lis !

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L’arrivée de Jeanne au Logis Royal de Chinon fut pour cette jeune femme de vingt et un ans l’aboutissement de huit à dix années d’intense formation, d’études, d’apprentissages multiples, menés depuis le jour où elle découvrit sa filiation jusqu’à son départ de Domrémy via Vaucouleurs pour Chinon.

C’est évidemment à Domremy, enfant, qu’elle sera catéchisée, prise en main par les dames franciscaines puis, à dix-huit ans, instituée " Grande Dame Discrète " du Tiers ordre franciscain. C’est à Domremy qu’elle apprendra la lecture et l’écriture. C’est à Domremy que lui seront révélées ses origines, vraisemblablement par Colette de Corbie en personne. C’est à Domremy qu’elle apprendra la pratique du langage de la cour et de ses usages. C’est encore à Domremy qu'elle peaufinera durant des années sa formation de brillante cavalière, qu’elle suivra le très long apprentissage du maniement des armes de guerre en compagnie de ses frères de lait Jean et Pierre d’Arc.

C’est lors de la révélation sur sa naissance que Bertrand de Poulangy1 fut envoyé auprès de Jeanne. Il logeait chez Baudricourt à Vaucouleurs, à une heure de cheval de Domremy. Discrètement présent auprès de Jeanne, informateur de Yolande sur les progrès de sa protégée, cet Écuyer du Roi de France a certainement participé es-qualité à sa formation de combattante et il fut sans doute ce Saint-Michel qui parlait régulièrement à Jeanne au nom du roi.

Pour la part d’éducation qui leur revenait, les dames de Bourlemont2 furent peut-être ses autres " voix ", celle de la Sainte Marguerite martyrisée pour s’être habillée en homme et celle de Sainte Catherine, la pure vierge et patronne des vierges. Dans le choix de ces deux porte-voix imaginaires qui colle si bien à la personnalité de Jeanne, on devine aisément la manipulation qui aboutira à l’image de la bergère pieuse dont la fougue patriotique était animée par la seule “ grâce divine ” !

Jeanne arrive à Chinon

Partie de Vaucouleurs le 22 ou le 23 Février 14293 , la petite troupe qui accompagnait Jeanne était commandée par Jean de Metz4 . Il y avait Colet de Vienne, messager de Charles VII qui était venu chercher Jeanne et qui repartait à Chinon. L’envoyé du Roi de France initiait l’opération tout en apportant à Baudricourt les garanties qu’il avait exigées sur la participation financière du trésor royal.

Il y avait évidemment le fidèle chevalier Bertrand de Poulangy dont les historiens propagateurs de la légende ne se sont jamais demandé ce qu’il faisait auprès de Jeanne depuis tant d’années, lui l’Écuyer du Roi de France. Il y avait Jehan Coulon, dit d'Honnecourt5 ou de Dieulouard, écuyer de René d'Anjou, duc de Bar. Pour qui sait le rôle majeur tenu dans l’instrumentalisation de Jeanne par Yolande d’Anjou, mère dudit René 1er, cette présence n’a certainement rien de fortuit. Il y avait encore Julien d’Honnecourt, le serviteur habituel de Bertrand de Poulangy et enfin Richard Larcher ou L’archer, dont on ne sait rien si ce n’est qu’il était rude gaillard et peut être écossais.

Jeanne, ses six compagnons de route et leurs neuf chevaux6 arrivent à Chinon entre le 4 et le 6 Mars 1429. Seules quelques dates d’étapes sont connues ainsi que la date de la première entrevue publique de Jeanne avec Charles VII qui eut lieu le 6 Mars 14297 .

Revenons au XXIe siècle !

C’est en arrivant à Chinon par le nord-est que l’on découvre le mieux la colline dominant la ville et les murailles du château qui ceinturent toute la butte. Jeanne a vu la ville et le château d’un autre coté, depuis les rives de la Vienne d’où elle arrivait. En parcourant la rue Haute, comme Jeanne l’a fait en arrivant, on aperçoit au dessus des maisons la face sud-est des Logis Royaux restaurés et les tours encore debout.

De gros travaux ont été conduits pour sécuriser les remparts, aménager voies d’accès et aires de promenade, renforcer les bâtiments et murailles encore existants. La Tour de l’Horloge et les tours partiellement démolies du Coudray, d’Argenton, du Moulin et de Boissy ont été consolidées pour en permettre la visite, mais le plus gros travail a été la réhabilitation des appartements royaux.

Vue générale

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Accès au château à pied par la rue Jeanne d’Arc, rue montante et tortueuse pavée à l’ancienne, autrefois ruelle d’accès au château, ou alors par la route plus longue mais “carrossable” qui arrive à l’entrée de la Tour de l’Horloge. Au pied de la ruelle Jeanne d’Arc, un panneau " rappelle " que c’est à cet endroit que Jeanne serait descendue de cheval en arrivant à Chinon !

Le puits reconstitué

Le puits reconstitué au bas de la ruelle « Jeanne d’Arc » sur lequel Jeanne aurait posé le pied en descendant de sa monture. La date d’arrivée indiquée sur la plaque est le 6 Mars 1429.

 

Ruelle Jeanne d'Arc

Ruelle Jeanne d’Arc conduisant au château, que Jeanne a empruntée en Mars 1429.

Le château royal de Chinon comporte en fait trois châteaux distincts : à l’est le Fort Saint-Georges, ou a été édifiée une structure moderne d’accueil du visiteur, le Fort du Coudray qui défendait le flanc ouest et le Château du Milieu qui accueillait et protégeait les appartements royaux.

Plan du château

L’existant des logis royaux a été restauré mais la partie est des Logis n’a pas été reconstruite. C’est dans cette aile détruite que se situait la salle de réception du premier étage où Jeanne a rencontré pour la première fois le futur Roi de France Charles VII le 6 Mars 1429. Un panneau scellé à droite de la cheminée à ciel ouvert rappelle l’événement. (voir photo ci-dessous)

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La visite contemporaine des Logis Royaux est soumise à « Interprétation », tout comme au « Centre d’interprétation johannique » de Domremy, d’ailleurs ! C’est à croire que les sites dédiés à Jeanne se sont donné la consigne : interpréter et non pas donner les faits. C’est ainsi qu’on " découvre ", sur les pupitres interactifs une Jeanne présentée comme une prophétesse qui accomplit sa " prophétie " !

L’interprétation, ça doit être ça pour les concepteurs de l’exposition qui ont privilégié les moyens audiovisuels. Cette " Interprétation " de l’histoire ne signifie pas Histoire commune, mais aboutit à autant d’historiettes que de visiteurs, une histoire pour chacun en somme, selon ce qu’on lui raconte et selon ce qu’il est capable d’entendre. Concernant la " bergère " Jeanne, la porte est restée grande ouverte sur la légende que l’on nous rabâche depuis le XVe siècle !

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Le logis royal comporte plusieurs salles d’exposition maigrement fournies. Aux étages supérieurs, voisinant avec des affiches anachroniques, on remarquera quelques objets, en particulier une très belle statue en bronze de Jeanne à cheval et en armure, par Paul Dubois, réduction de la statue actuellement exposée sur le parvis de la cathédrale de Reims.

Cheminée de la salle de réception

La cheminée de la salle de réception détruite, où Jeanne a rencontré Charles VII pour la première fois. Plaque commémorative avec médaillon de bronze, à droite de la cheminée.

En sortant des Logis Royaux, on accède à la Tour du Coudray. C’est dans cette tour que Jeanne fut hébergée du 6 au 11 Mars 1429. Le roi confia Jeanne à Raoul de Gaucourt8 qui la remit “aux bons soins de Dame Bellier, épouse de Guillaume Bellier, bailly de Troyes”.

Tour du Coudray

La Tour du Coudray est amputée de ses étages supérieurs. De l’appartement ou Jeanne fut logée avant son départ pour Poitiers, elle avait la jolie vue ci-dessous.

Logis royal vu de la Tour du Coudray

Au sud, la tour du Moulin est également visitable, sans grand intérêt, d’autant que faute d’information, le visiteur attentif ignorera son usage.

A gauche, plus proche des appartements royaux, l’architecture de la tour de Boissy, de forme oblongue, est intéressante. L’usage des deux niveaux auxquels on accède restera lui aussi ignoré du visiteur, mais les plafonds présentent deux belles voûtes d’arcs.

En face, la Tour d’Argenton est elle aussi remarquable. Tour de défense au Nord avec de très hautes meurtrières, elle possède également de belles voûtes quadripartites. Au bas de la tour on peut voir ce qui ressemble à des cuisines avec un petit four maçonné.

Dernière tour visitable, la tour élancée de l’Horloge dans son intégrité maintenue. Plusieurs salles d’exposition y sont réservées à la restauration des bâtiments et à l’éloge mérité des compagnons. Le chemin de ronde de la tour offre une très belle vue panoramique sur le château, sur la ville et la Vienne au sud et sur la campagne viticole au nord.

Tour de l'Horloge

La tour de l’Horloge. C’est par la porte inférieure, là où aboutit aujourd’hui un pont enjambant le fossé sec, que Jeanne a pénétré dans l’enceinte du château.

Jeanne était arrivée à Chinon début Mars 1429, entre le 4 et le 6. Si elle rencontra publiquement le roi Charles VII le 6 Mars, tout porte à croire qu’elle l’avait déjà rencontré la veille. Le roi de Bourges avait évidemment besoin de savoir qui était Jeanne avant de s’engager plus avant et Jeanne, de son coté, devait connaître celui qu’elle « reconnaîtrait » le lendemain. C’est vraisemblablement ensemble qu’ils préparèrent la mise en scène de la rencontre publique avec le roi. Subjuguer une cour dévote... et le peuple des chaumières avec du miraculeux, quelle entrée en scène magnifique !

Jeanne allait rester 3 semaines à Chinon avant de partir le 1er Avril avec le roi pour Poitiers. Durant ce temps, on sait qu’elle participa à des joutes avec son neveu, le Duc d’Alençon. Celui-ci, ébloui par les qualités de cavalière et de guerrière de sa tante lui offrit un coursier.

Chinon ne fut qu’une étape pour Jeanne avec un seul objectif pour Yolande d’Anjou, initiatrice de l’expédition : placer cette jeune femme “ envoyée par dieu ” à la tête d’un corps expéditionnaire avec la caution de l’église. Ce fut fait quelques semaines plus tard à Poitiers.

La mission de commandement fut acceptée avec enthousiasme par Jeanne qui allait ouvrir la route pour son « gentil dauphin » jusqu’à Reims afin qu’il retrouve sa légitimité de Roi de France.

« Il n’est pas un homme qui ne puisse refuser d’avoir dieu pour chef » dira plus tard Pie II, avec le cynisme tranquille des papes !

Telle était la mission de Jeanne qui fut discutée à Chinon d’égale à égal entre Jeanne et son frère (ou demi-frère ?9 ) le futur Charles VII ainsi qu’avec ses conseillers. Mais sa mission devait s’arrêter là ! Son besoin de combattre pour la France et son Roi, le plaisir qu’elle devait éprouver en guerroyant, en bref sa fougue et son enthousiasme patriotique allaient tout compliquer !

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Statue équestre de Jeanne (Dubois) exposée à Chinon

Statue équestre de Jeanne, bronze de Paul Dubois, exposée aux logis royaux de Chinon. Réduction de l’original érigé sur le parvis de la cathédrale de Reims.

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La visite du château de Chinon est toujours aussi émouvante dès lors que l’on pose ses pas dans ceux de Jeanne, mais elle ne nous apprend pas grand-chose que nous ne sachions déjà. Pas suffisamment en tout cas pour que le visiteur oublie la fable reprise en chœur depuis six siècles par les tenants de la légende et toujours enseignée dans les écoles de notre République Laïque : " il était une fois une bergère qui entendit des voix divines…".

Après le château, la vieille ville de Chinon, contenue entre la Vienne et la colline du château se visite pour elle-même. C’est une véritable ville-musée aux très belles maisons historiques de tuffeau et plus rarement à colombages.

Le retour après visite peut se faire par Panzoult et Cravant, deux bourgades que Jeanne a traversées avant d’arriver à Chinon un soir de Mars 1429.

…et puis le vin provenant des Coteaux de Cravant passe pour être le meilleur du Chinonais !

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notes

1 De Poulangy, de Poulengy, de Poulangey, de Poulligny, voire de Pulligny d’après l’hypothèse de l’abbé Martin, l’orthographe du nom varie selon les auteurs. Poulangy est une commune de Hte Marne proche de Chaumont. >> retour au texte

2 Il s’agit d’Agnès de Joinville et Jehanne de Bauffremont, épouse d’André de Joinville "qui venaient visiter Jeanne fréquemment". L’église de Pulligny renferme une chapelle dédiée aux Joinville et plusieurs tombes des Joinville. >> retour au texte

3 1429 est la date modernisée. Avant la réforme grégorienne, l’année commençait à la période de Pâques. >> retour au texte

4 Jean de Metz, Seigneur de Novelempont ,de Nouelempont ou, selon quelques auteurs, de Nouillompont, était un compagnon d’armes de Baudricourt. >> retour au texte

5 Devant l'ancienne abbaye de Pothières (Côte-D'Or) a coté d‘une statue de Jeanne, une stèle porte : "L'an 1429, le samedi 26 février, Sainte Jeanne d'Arc, venant de l'abbaye de Clairvaux et se dirigeant sur Auxerre, fut hébergée en cette abbaye bénédictine de Pothières avec ses six compagnons, Colet de Vienne, Richard L'Archer, Bertrand de Poulangy, Julien de Honnecourt, Jean de Metz, Jean de Honnecourt…" >> retour au texte

6 Les cavaliers menaient deux chevaux supplémentaires pour transporter matériel, nourriture, vêtements… >> retour au texte

7 Les dates de départ et d’arrivée ne sont pas certaines. Maurice Vachon dans "La chevauchée de la Pucelle, de Vaucouleurs à Chinon" propose un trajet optimisé de onze jours, du 22 Février au soir pour une arrivée dans la soirée du 4 Mars 1429, soit 500 kilomètres en 11 étapes allant de 16 km à 85 km pour la plus longue. >> retour au texte

8 Où l’on s’aperçoit que le monde des Valois-Orléans est petit ! Raoul de Gaucourt est ce prisonnier des Anglais, de retour de captivité en 1425 et qui avait rapporté le consentement du chef de famille, Charles d’Orléans, également prisonnier en Angleterre, sur le projet d’une guerrière miraculeuse envoyée par Dieu.
NOTE 1 : Raoul VI de Gaucourt est mort le 10 juin 1462. Il était seigneur de Gaucourt, d'Hargicourt et de Maisons-sur-Seine. Alliés des Joinville, les  Gaucourt arboraient un blason  "d’hermine à deux bars adossés de gueule".
Raoul De Gaucourt  entre à l'âge de 13 ans au service de Charles VI qu’il  suivra  dans ses voyages à l’étranger. Bailly de Rouen en 1415, il sera fait prisonnier  avant la défaite d’Azincourt. Il restera prisonnier en Angleterre dix ans, un  séjour forcé au cours duquel il  va côtoyer un autre prisonnier de marque : le duc Charles d’Orléans, demi frère de Jeanne.
Ensemble, ils mettront au point la stratégie développée par Yolande d’Anjou qui instrumentalisait Jeanne afin de redonner à Charles VII sa légitimité perdue. C’est ce stratagème du sacre à Reims par la princesse oubliée qu’il appuiera  auprès de Charles VII dès son retour en 1425.
En 1428-1429, il est  à Chinon aux cotés de Charles VII qui en a fait son premier chambellan.
En Mars 1429, c’est à lui que Charles VII confiera  Jeanne aux cotés de laquelle il  combattra durant toute l’épopée victorieuse, d’Orléans  jusqu’à Reims. Après son couronnement, Charles VII le nommera  capitaine de la ville et du château de Chinon le 17 octobre 1429.
NOTE 2 : Dans son livre, « Jeanne d’Arc n’a pas été brûlée », (P 80)  G Pesme fait intervenir Jean de Gaucourt alors qu’il s’agit de son père Raoul !
 Jean de Gaucourt était un prélat, diacre de l'église de Rouen, chanoine de Noyon et notaire apostolique. En 1460  il fut nommé évêque de Laon. C’est son père, Raoul de Gaucourt  qui était l’intendant du Château de Chinon lors de l’arrivée de Jeanne. >> retour au texte

9 De Jacoby à Pesme en passant par Grimod, les avis ont évolué sur ce sujet. C’est le "Jehanne d’Arc n’a pas été brûlée" de l’historien Gérard Pesme qui peut emporter la conviction. Jeanne était la fille illégitime de la Reine Isabeau de Bavière et elle aurait eu pour père le duc Louis d’Orléans, comme le futur Charles VII - son frère. Le reniement de son fils par Charles VI - qui devait savoir qu’il n’était pas de lui - est éloquent. Le seul argument assez mince qui s’oppose à cette filiation est la "ressemblance" entre les portraits de Charles VI peint en 1412 par le maître de Boucicaut et celui de Charles VII, peint vers 1450, par Jehan Fouquet ! >> retour au texte

27 Novembre 2011