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BiblioLes secrets de Jeanne - Ressources

Sur la brillance et la stabilité de la couleur des fresques medievales

Article proposé par F. Mas Cabré

Francisco Mas Cabré est né le 28/02/1945 à Haarlem (Pays-bas) d’un père espagnol et d’une mère néerlandaise.
Passionné par la chimie, il a exercé dans son propre laboratoire dès l’âge de 16 ans, pour à 19 ans intégrer l’Université d’Amsterdam.

Ses études se sont terminées par une thèse en chimie bio-organique sur les « Réductions non-enzymatiques sur des modèles de NADH »
Le Dr Mas Cabré a travaillé de 1974 à 2005 au sein de la multinationale AKZO NOBEL, pour continuer après sa retraite au sein de sa propre entreprise, Cave du Mas.
Au long de sa carrière, il a exercé dans divers domaines, à savoir, jusqu’en 1970 sur la chimie organique, la chimie bio-organique de 1970 à 1974, les processus catalytiques hétérogènes de 1974 à 1985, le développement des catalyseurs hétérogènes de 1985 à 2000, et les catalyseurs et processus catalytiques dans les technologies renouvelables de 2000 à nos jours.
Après  une carrière de plus d’un demi-siècle, Francisco Mas Cabré poursuit toujours ses recherches dans le domaine de la chimie.

1. Introduction

Les fresques sont des peintures obtenues par application directe de couleurs sur la chaux de murs fraîchement enduits. Cette technique spéciale est appliquée pour obtenir ces propriétés absolument caractéristiques de la fresque (voir réf 1, p.62), à savoir :

  • a. Une brillance vive des couleurs
  • b. Une stabilité particulièrement élevée de cette brillance de couleur.

Bien que ces deux aspects de la fresque soient bien connus et fortement appréciés, une explication scientifique de ces phénomènes n'a pas encore été formulée, du moins à ma connaissance.
Dans cet article, on proposera un modèle, utilisant des principes chimiques et physiques fondamentaux (voir réf 2), qui peut constituer une avancée dans la compréhension de ces phénomènes magnifiques dans leur résultat.

2. La teinte, intensité et brillance

La plupart des pigments minéraux consistent en ions métalliques de transition combinés avec plusieurs ligands. Ces ligands sont des substances chimiques contenant un atome avec une paire d’électrons libres, comme un atome d’oxygène, d’azote ou de soufre. Les électrons de ces paires libres peuvent former une liaison avec une orbitale d vide du métal de transition. Ces liaisons stabilisent les complexes et ont une influence profonde sur leur couleur, en raison des électrons rapportés qui multiplient les possibilités d'excitation par l'absorption de lumière. En général cela aboutit à un changement de la couleur de la lumière reflétée ou transmise dans la direction où l'œil humain a une plus haute sensibilité.

A l’état solide et en solution aqueuse les ligands stabilisant l'ion métal de transition sont habituellement des molécules d'eau, dont l'atome d'oxygène porte deux paires d’électrons libres, dont une est disponible pour se lier à l’orbitale d du métal de transition. Des ions hydroxyles et de l’eau sont disponibles dans une couche de chaux fraîche, ce qui lui confère une réactivité chimique aboutissant à un « échange de ligand ». Ainsi l'eau liée d'un complexe qui entre en contact direct avec la surface de chaux réactive peut être échangée avec des ions hydroxyles. La densité électronique de l'atome d'oxygène d'un ion hydroxyle est plus élevée que celle de l'atome d'oxygène d'une molécule d'eau et ceci, à son tour, aboutit à une augmentation de l’énergie électronique de liaison du ligand vers l’orbitale d de l'ion du métal de transition, augmentant l'effet de changement de couleur et l'intensité observée. Le résultat global de l'interaction de la chaux fraîche avec des pigments de métal de transition est par conséquent un changement de couleur et une intensité accrue.

3. Stabilité de la teinte, intensité et brillance

Après l'étape d'application de pigment sur la couche murale de chaux et la formation du complexe pigment-calcium, commence l'étape de séchage et de vieillissement au cours de laquelle plusieurs processus ont lieu. Tout d'abord le processus de captation du dioxyde de carbone et la transformation d'hydroxyde de calcium en carbonate de calcium à la surface de la chaux démarre. Les parties superficielles sur lesquelles les complexes pigment-calcium se sont formés sont protégées de cette réaction et restent en l’état. À un stade ultérieur du processus de séchage, l'eau est évaporée et les couches plus profondes de la couche de chaux sont converties à leur tour en carbonate de calcium. Tout cela aboutit à une solidification de la couche de chaux par la formation d'une phase solide de carbonate de calcium, d'abord à l’état amorphe, puis à l’état cristallin. Cette phase solide de carbonate de calcium est très rigide et stable et peut être considérée comme un type de polymère. Comme le complexe pigment-chaux, qui peut être considéré comme un sel de calcium d'un acide conjugué du complexe de pigment, forme une partie intégrante de ce carbonate de calcium solidifié, la stabilité du complexe chaux-pigment lui-même est aussi fortement augmentée. Un déplacement ou un échange de ligand de ce complexe impliqueront la scission de plusieurs liaisons chimiques et sont donc beaucoup plus lents qu'un déplacement ou un échange de ligand d'un pigment libre, non lié à la chaux. Comme la détérioration du pigment, et de sa couleur associée, implique la rupture du complexe par le déplacement du ligand, la formation du complexe de pigment-calcium suivi par la formation de carbonate de calcium solide aboutit à la stabilisation extrême de la nuance et de l'intensité de couleurs de la fresque.

Les cristaux de carbonate de calcium formés peuvent être à la base du caractère brillant de la lumière reflétée. Les pigments stabilisés feront partie de ces cristaux et une partie des pigments sera donc exposée à ces facettes de cristal, produisant les petits « paquets » de lumière reflétée. Comme l'orientation de ces cristaux et de leurs facettes seront aléatoires, le résultat sera un tableau de petits paquets de lumière reflétée orientée, à l’image d’une pierre précieuse taillée. Si le carbonate de calcium restait amorphe, il en résulterait une couleur terne.

4. Résumés pour les non-chimistes...

La modèle décrit ci-dessus peut être récapitulé en termes moins techniques comme suit :

  • a. On peut considérer les particules de pigment comme un cœur avec une coque de protection.
  • b. L'interaction de ces coques avec une surface de chaux fraîche confère la couleur et améliore son intensité en s’y liant chimiquement.
  • c. La formation de carbonate de calcium par la réaction de la chaux avec le dioxyde de carbone de l'air, suivi par sa cristallisation, stabilise ces systèmes contre le vieillissement et peut être à la base de la brillance des couleurs de ces peintures.

9 décembre 2012

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Références bibliographiques

(1) : Mauro Matteini et Arcangelo Moles; "Chimica nel Restauro I la Materiali dell'Arte Pittorica", 2003, Nardini Editore-Firenze. [retour au texte]

(2) La plupart des principes chimiques et physiques sur lesquels le présent modèle est basé ont été développés dans le domaine des sciences des surfaces et de la catalyse. La série de monographies " Studies in Surface Science and Catalysis" (Elsevier, Amsterdam), parue pendant presque un demi-siècle, est représentative pour ce domaine. [retour au texte]