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Jeanne ou St Maurice ?Les secrets de Jeanne - Questionnements & hypothèses

LA DATE DE NAISSANCE DE JEANNE LA PUCELLE,
ETAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Proposé par Thévenin.

L’historien Auguste Molinier dans « les sources de l’histoire de France – tome IV – Picard 1904 » affirmait à son l’époque « qu’une bibliographie critique et raisonnée de Jeanne d’Arc pourrait ne comporter que quelques centaines de numéros … En dehors de quelques monographies de détail, la plupart des histoires de Jeanne d’Arc, sont dénuées de valeur »
Depuis les considérations de Molinier la situation ne s’est pas améliorée quand on regarde le niveau des publications sur la Pucelle. Seuls les quelques historiens que nous citons dans notre bibliographie n’acceptent pas les compromissions contemporaines, et honorent l’Histoire de France, en retraçant celle de la Pucelle, avec rigueur et professionnalisme.
Ne parlons pas de la raison d’Etat de la République et de l’Eglise dans cette affaire. Ne parlons pas non plus, comme on dit aujourd’hui du politiquement correct, ni de l’historiquement correct des historiens, qui ressassent inlassablement les mêmes sottises pour conforter leurs carrières.

Auguste Molinier

Dans cet article nous développerons plusieurs chapitres, à savoir :

  1. La date de naissance de la Pucelle, état de la question
  2. Rappel des dates données par les historiens de la légende
  3. L’enjeu historique capital de la date de naissance de la Pucelle
  4. La revue des actes règlementaires qui permettent de fixer la naissance d’un individu au cours des âges
  5. Les preuves et les présomptions historiques de la date de la naissance de la Pucelle
  6. Les cinq procès, dans lesquels la Pucelle est impliquée, n’ont pas été versés dans le domaine public, à l’époque, pour renseigner les chroniqueurs
  7. La critique des sources de l’historiographie « officielle »
  8. Les contextes de l’époque aux plans sociologique, médiatique, diplomatique et politique de la rédaction des chroniques et des témoignages
  9. Conclusion

1) La date de naissance de la Pucelle, état de la question :

La date de naissance de la Pucelle est un problème historique d’une certaine importance. La détermination de cette date permet des lectures différentes de l’origine et de la vie de Jeanne. Nous verrons pourquoi. Les historiens de l’histoire « officielle » ergotent sur sa date de naissance, sans être capables de produire une synthèse exhaustive des connaissances en la matière.
La date de naissance de la Pucelle est un sujet qui n’a jamais fait l’objet d’une analyse historique dédiée, ni d’une confrontation méthodologique et de valeur des témoignages ou chroniques, dont nous possédons la relation.
Les auteurs se contentent d’effectuer une compilation de ces données pour en arriver à un choix arbitraire, ou à une moyenne entre des dates, dont l’origine et la valeur ne sont pas analysées. Le colonel de Liocourt et Jacques Cordier, en font des classifications ayants un caractère de statistiques, comme si ces méthodes avaient un intérêt quelconque. Ces témoignages et ces chroniques, qui n’ont pas tous la même valeur historique, ne peuvent être utilement exploités pour donner la date exacte de la naissance de la Pucelle. Leur valeur dépend de l’accessibilité à l’information qu’avait le témoin ou l’auteur, de sa proximité du pouvoir, des circonstances politiques, diplomatiques, sociales, médiatiques et religieuses de l’époque.
Les trois tableaux produits par le colonel de Liocourt dans son livre la mission de Jeanne d’Arc, montrent que l’on peut tirer tout et n’importe quoi des statistiques, sans l’observation des circonstances historiques qui ont prévalu lorsque ces témoignages ont été produits. Quel intérêt de compter d’une part ceux qui l’on certainement ou probablement vue, et d’autre part ceux qui ne l’on certainement ou probablement pas vue ? Une autre catégorie concerne ceux qui l’ont certainement vue, et pour la plupart pendant quatre mois à Rouen ! Le fait de voir ou pas la Pucelle ne qualifie en rien ces personnes, que l’on ne peut retenir pour donner un avis circonstancié sur l’âge de la Pucelle.

Seuls les auteurs que nous citons dans notre bibliographie font ressortir les éléments qui présentent un intérêt ou une pertinence essentielle. Les historiens peu regardants admettent généralement que la Pucelle est née le 6 janvier 1412, ou donnent cette date comme une date certaine, sans qu’aucune validation historique ne soit possible pour la qualifier ainsi ! Les répétiteurs d’aujourd’hui s’alignent évidemment sur cette date et sur les récits de Vallet de Viriville, Wallon, Sepet, Luce, Lang, Hanotaux, Quicherat, Fabre, Pernoud, Favier, etc.

La méthode la plus originale utilisée par les historiens est la méthode dite « Decaux », du nom de l’académicien Alain Decaux

Alain Decaux

Cette méthode qui consiste à travailler avec le quart des données historiques disponibles est encore appelée méthode du quart !
Alain Decaux se prononce pour l’année 1411 dans le numéro de la revue Historia n° 492 de décembre 1987 dans son article " Jeanne d’Arc princesse royale " ?
Pour fixer cette date il s’en remet aux dires de Jeanne à son procès de Rouen le 21 février, comme le font tous les partisans de la légende sans prendre en compte les audiences suivantes du procès.
Les domremistes ( ceux qui croient que Jeanne est née à Domremy ) citent toujours la réponse de Jeanne du 21 février au procès, qu’ils considèrent comme définitive, en omettant soigneusement la restriction du lendemain !
Au cours de la première audience de son procès Jeanne répondit qu'à ce qui lui semblait elle avait environ 19 ans. A l'audience suivante Jeanne dit ne pas pouvoir répondre sur son âge… ajoutant qu'elle ne saurait déposer...
Cet auteur, Alain Decaux, et ceux qui défendent son point de vue, ne se donnent pas la peine d’examiner le sens des réponses de la Pucelle des 22, 24 et 27 février. Jeanne redonne cet âge de 13 ans ou environ pour le moment où elle entend ses voix pour la première fois. Elle assure qu’il y a sept ans passés que les voix commencèrent à lui dicter sa conduite. Si nous additionnons 13 ans + 7 ans nous trouvons 20 ans en mai 1428 lors de son déplacement à Vaucouleurs et lors de sa première démarche auprès de Baudricourt. Cela nous donne donc une naissance possible entre mai 1407 et mai 1408, ce qui est relativement précis comme fourchette de dates. Nous sommes dans une période de dates délimitées transmises par la principale intéressée, ce qui est une donnée historique capitale.
Ces faits historiques, les réponses de la Pucelle, doivent être considérés comme majeurs par les historiens et, ne peuvent être neutralisés et passés sous silence. Les historiens, très dérangés par les affirmations de la Pucelle, n’hésitent pas à la contredire, sans aucun argument de valeur à lui opposer.
Les historiens reconnaissent les déplacements de la Pucelle mais ne prennent pas en compte les dates de ces déplacements en correspondance avec ses dires !

Résumons les réponses prises en compte officiellement dans la procédure du procès de l’Inquisition à Rouen en 1431 contre la Pucelle :

D’après la première réponse de Jeanne, elle aurait eu à ce moment « à peu près dix-neuf ans, à ce qu’il lui semble », c’est-à-dire qu’elle serait née en 1412. L’acte d’accusation définitif, en douze articles, a accepté cette estimation : les articles I et VII portent que Jeanne a quitté ses parents contre leur gré et à leur insu à l’âge de dix-sept ans, et il est spécifié que cette assertion est basée sur la déclaration même de l’accusée, c’est-à-dire probablement sur l’âge de dix-neuf ans qu’elle s’attribuait présentement, savoir deux ans après. Pour les mêmes faits, l’article IV de l’acte d’accusation primitif portait : « l’âge de 18 ans ou environ ». Les actes judiciaires sont contradictoires mais nous retenons les deux assertions possibles.

Pour avoir une vision synthétique du problème, il convient de consulter les autres sources à notre disposition. Les témoignages recueillis dans le procès d’annulation et les chroniques feront l’objet de notre évaluation.
Les témoignages du procès d’annulation sur lesquels l’historien pouvait espérer n’apportent rien, y compris les témoignages de Domrémy.
Cependant un témoignage retient notre attention et s’avère d’une importance capitale : celui d’Hauviette de Syna
Les 19 témoins de Rouen interrogés en 1452, et ceux du nouvel interrogatoire de 1456, qui ne connaissaient pas Jeanne, ont donné une réponse toute préparée, car ils ne pouvaient avoir aucune idée de l’âge de la Pucelle. André Cherpillod démontre que les réponses ont été dictées et qu’elles n’ont donc pas de valeur historique.
Les témoins d’Orléans et de Paris interrogés en 1456, au nombre de 61, ne donnent aucune indication sur l’âge de Jeanne, car cette question n’était pas à l’ordre du jour des interrogatoires. Vu l’échec sur Rouen, les enquêteurs se sont sans doute rendus compte que ces témoins n’ont aucune qualité pour répondre à ce type de question. Et pour obliger 61 témoins à donner une date convenant à l’attente du tribunal c’est plus difficile encore !
Les témoins de la région de Domremy interrogés en 1456 sont muets !
Cherpillod commente :
" En dehors d’Hauviette, pas un des 34 témoins de Domremy, pas même ses parrains et marraines, ne donne d’indication sur l’âge de Jeanne. Pas même son amie Mengette Joyart ! On a 33 témoignages muets à Domremy et un qui contredit l’âge de référence retenu depuis.
Il est bien évident que si la Pucelle était la fille du couple du Lys nous aurions pléthore d’indications venant de Domrémy. Le fait que ces témoins soient muets est significatif d’une omerta imposée par le pouvoir royal et tout à fait acceptée par les juges manipulateurs ".

André Cherpillod

Nous verrons, par ailleurs, que les historiens donnent des dates qui s’échelonnent de 1409 à 1412. Les auteurs modernes font souvent référence aux chroniqueurs de l’époque de Charles VII pour déterminer la date de naissance de la Pucelle, considérant que cela a un intérêt primordial. Il est évident que ces chroniqueurs apportent des connaissances intéressantes sur l’époque qu’ils traitent. Mais nous verrons que ces chroniqueurs défendent aussi, bien évidemment, les intérêts de leurs maîtres, ce qui jette la suspicion sur la quasi-totalité de ces témoignages.
De nos jours, dans la plupart des états, la personne astreinte au secret de fonction, dignitaire ou fonctionnaire d'Etat, ne peut être entendue comme témoin que si l'autorité dont elle dépend lève son secret de fonction. Certaines personnes ne peuvent également témoigner en raison du secret professionnel qui les lie à une partie. Nous étudierons la situation des chroniqueurs pour déterminer la crédibilité historique de leurs témoignages en regard de leurs fonctions.

Nous allons expliquer les causes du phénomène de dispersion ou d’imprécision des dates fournies par ces chroniqueurs, par une simple étude des dires et de l’activité de ces derniers, et à partir des faits et des circonstances historiques de l’époque. Il ne s’agira en aucune façon d’utiliser une méthode de compilation ou de statistique des dates des auteurs contemporains ou chroniqueurs anciens, pour trouver la bonne date, ou celui qui détient la vérité.
Nous retenons les témoignages de Jeanne à son procès et celui d’Hauviette, son amie. Ces témoignages ont évidemment une forte crédibilité historique.

2) Rappel des dates données par les historiens de la légende ou de l’histoire « officielle » :

Les historiens Martin et Wallon précisent la date du 06 janvier 1412. Michelet et Champion prennent pour argent comptant la date de 1412 sans se prononcer sur le jour et le mois.
Pierre Duparc indique également 1412 en stipulant « quant à la date de naissance, il semble qu’elle puisse être facilement fixée, au moins avec une certaine approximation. D’après ses propres déclarations au procès de 1431, et d’après les témoins au procès de réhabilitation, Jeanne aurait eu 19 ans environ au moment de sa mort ». L’auteur cite des historiens sérieux que nous recommandons comme Caze, Edouard Schneider, Bosler, Weil-Raynal sans en tenir compte bien évidemment ! Il prétend que les documents restés dans les archives du Vatican risquent de le demeurer toujours, sans le regretter, ( allusion faite sur le procès de Poitiers qui est conservé au Vatican ). Duparc qui a été conservateur des archives du Ministère des Affaires Etrangères de 1945 à 1959, puis chef du bureau des Traités de 1960 à 1965, est un commis décoré de la République et, à ce titre, on peut le qualifier de conservateur des secrets d’Etat de la République. Rien à attendre de ce type de personnage sur le plan de la recherche historique !

Guido Görres donne 1411 dans son livre " Jeanne d’Arc d’après les chroniques contemporaines " !

Guido Görres

Très étonnant, car la chronique de Perceval de Cagny fixe précisément la date de naissance de la Pucelle entre septembre 1409 et septembre 1410. Les chroniques de Lefèvre de Saint-Rémy et du Héraut Berry annoncent une fourchette entre 1407 et 1409. Les autres chroniques indiquent d’autres dates comme nous le verrons. Les chroniques médiévales se révèlent en fait souvent imprécises, et les appréciations testimoniales sur les dates des naissances, d'autant plus approximatives, lorsque celles-ci ne sont pas illustres. Et, lorsqu’elles sont illustres, les chroniques composent avec les nécessités du moment et les risques encourus.
Pour Jeanne d'Arc, les dates de naissance données par les chroniqueurs s'échelonnent entre 1399 et 1417, si on veut tout prendre en considération, sans faire le tri. On constate donc a priori que ces derniers ne savent pas à quelle date la Pucelle est née, mais a priori seulement, comme nous le verrons.

Des historiens comme Petit-Dutaillis, Anatole France, Edith Thomas et Jacques Cordier sont plus hésitants sur la date de naissance de la Pucelle, car ils la situent entre 1410 et 1412. Ils sont déjà plus réalistes, sachant que la crédibilité de la date de 1412 est difficile à établir, ils se positionnent à partir de 1410. Ces auteurs reculent un peu dans le temps, tout en restant dans une zone de dates convenant à la légende, pour ne pas se mettre hors du jeu de l’histoire « officielle ». Il y va de la notoriété de tous ces historiens qui veulent continuer leur carrière, continuer à écrire, et ne pas être mis au ban de leur profession !
Michaud et Poujoulat indiquent sans explications 1410. Caratini, auteur plus récent se prononce pour 1411 ou 1412.
Ernest Lesigne, de la première génération des historiens contestataires de l’histoire « officielle », situe l’année de naissance de la Pucelle au commencement de l’année 1410, peut-être 1409. Nous pardonnons à Lesigne, car ce dernier n’avait pas encore découvert que Jeanne était une princesse royale et, n’avait pas en conséquence, étudié sa date de naissance avec toutes les informations que nous avons aujourd’hui.

L'ouvrage d'Ernest Lesigne.

Tisset penche lui aussi pour 1409 ou 1410.
Amiet qui commente le témoignage d’Hauviette stipule qu’il se pourrait cependant que Jeanne ait eu plus de 19 ans en 1431.
Régine Pernoud admet « que la déposition d’Hauviette au procès de réhabilitation est le seul document qui pourrait étayer la fameuse thèse de la bâtardise ». Et l’excellent Cherpillod de confirmer que loin d’être le seul, il confirme avec éclat la donnée de l’acte d’accusation !

Nous constatons, en définitif, une confusion totale chez les historiens modernes, qui ne font aucun effort pour remettre en cause l’histoire transmise par Quicherat et Michelet. Ces derniers sortent bien souvent une date de leurs chapeaux, comme les magiciens, et ne citent aucune référence historique crédible. D’autres se réfèrent aux dires de leurs prédécesseurs sans aucune étude particulière du sujet, et ainsi de suite ! Ils peuvent se le permettre car aucune étude fiable, au sens historique du terme, n’a jamais été produite sur le sujet. Nous espérons que celle que nous produisons fera avancer les choses.

3) L’enjeu historique capital de la date de naissance de la Pucelle :

L'Histoire de France de Villaret fait état de la naissance en novembre 1407 du dernier enfant de la reine Isabeau de Bavière. Tout d’abord nommé officiellement Philippe et déclaré mort sitôt sa naissance le 10 novembre 1407. Jeanne serait l’enfant de cette reine féconde. C’est l’historien royal Villaret qui, le premier, après vérification de documents que nous ne possédons plus, nomme Jeanne, ce rejeton unissant en lui la Maison de France et le duché d’Orléans (dans l’édition de 1770 de son Histoire de France). On a substitué à la petite fille, en bonne santé, un bébé mort-né afin d’éviter une vengeance du roi, qui a parfois des accès de lucidité.

Toutes les versions s’accordent ensuite pour dire que c’est la famille du Lys, dont la branche aînée est titrée chevaliers d’Arc, qui éleva l’enfant. La famille royale fait confiance à la famille du Lys car un Guillaume du Lys d’Arc, Seigneur de Cornillon, Chambellan et Conseiller du Roi, est gouverneur du dauphin Louis, duc de Guyenne (fils de Charles VI) 1397 – 1415. Ce dernier habitait, nous dit Siméon Luce, à Courcelles sur Aujon en 1398, village très proche d’Arc en Barrois. Une Jeanne d’Arc ( première connue du nom ) était dame de compagnie de la reine Isabeau. Cette Jeanne a donc pu assister aux couches de la reine, et trouver aisément une famille d’accueil au nourrisson. Quel meilleur refuge, en effet, pour le nouveau-né, que des grandes familles aristocratiques amies, dans une contrée éloignée, entourée de frontières protectrices.

La réalité diffère de la légende : Jacques du Lys, de la famille des chevaliers d’Arc, n’est pas un pauvre paysan qui envoie sa fille garder les moutons aux champs ! Il est au contraire le descendant de la famille du Lys de très ancienne noblesse ( voir notre article sur le site ).

Blason des du Lys chevaliers d’Arc

Jacques du Lys et la famille des chevaliers d’Arc sont des grands serviteurs de la Couronne. Jacques, qui est le quatrième fils de la famille du Lys, n’est pas le titulaire du titre de chevalier d’Arc, mais le prestige de sa famille et son autorité personnelle lui permettent d’accéder à une fonction de confiance auprès de la très puissante Yolande d’Anjou, duchesse de Bar. Il est son régisseur et, à ce titre, contrôle les immenses domaines Barrois de la duchesse ( la carte du duché de Bar ci-dessous montre l’étendue du domaine d’activité de Jacques du Lys au service de la duchesse ). 

Un correspondant de la Société académique de l'Aube fait, d'après des documents de famille, un état approximatif de la fortune de Jacques du Lys, qui s'élève à environ 80.000 francs de 1894 et peut donner, tant en nature qu'en argent, 4 à 5.000 francs de revenus.
Le salaire d'un ouvrier en 1894 est 40 francs par mois. Il faut donc multiplier cette somme par 30 pour avoir son équivalent en euro. Le père de Jeanne a donc entre 120 et 150.000 euro de revenus par an ( cf. Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts du département de l'Aube, Société académique de l'Aube, Imprimerie de Sainton, Troyes. 1894 ,T31, SER3). Nous en arrivions aux mêmes conclusions dans notre article sur le site : « L’origine des d’Arc - La famille des chevaliers du Lys ». Rien à voir donc avec le petit laboureur de la légende !

Isabeau de Bavière, possédait en propre des domaines dans la région. Le roi Charles VI avait donné à la reine en mai 1403 les terres, château et châtellenies de Saint-Dizier en Barrois et de Vignory, du baillage de Chaumont. Cette dernière a fait plusieurs séjours sur ses terres entre 1403 et 1407, qui étaient à une douzaine de lieues de Domremy.

La duchesse Yolande d’Anjou, appelée la " reine des quatre royaumes ", parvient à fiancer son fils René avec Isabelle, héritière du duché de Lorraine. Yolande est la petite fille du vieux duc de Bar Robert 1er, la nièce d'Edouard III de Bar, tué à Azincourt, et la nièce du successeur du duché Louis II, duc de Bar, évêque de Toul et cardinal. Sa position familiale l’aidera à persuader le cardinal d'adopter René, son fils, pour éviter que le duché de Bar ne tombe sous l'emprise Bourguignonne.
Yolande est la tête pensante de l’ « opération Bergère » ( voir notre article sur le site ).
L’opération Bergère est une stratégie politique qui vise à promouvoir le dauphin en difficulté. Cette stratégie s’appuie sur l’introduction tactique d’un personnage ( la Pucelle ), appuyée par une renommée religieuse, pour apporter une nouvelle dynamique aux armées.
La duchesse Yolande exerça une influence déterminante avant et après le couronnement sur le roi Charles VII et remplit un rôle politique déterminant à l’époque.
La femme de Jacques du Lys est Isabelle de Brixey de Bourlémont, issue elle aussi d’une grande famille aristocratique, les Salm. Cette famille d’un niveau social très élevé, a fait construire aux XIIe et XIIIe siècles le château de Bourlémont, sur un promontoire dominant la vallée de la Meuse. La première mention connue de la seigneurie de Bourlémont date de 1184.

Le château de Bourlémont.


Isabelle de Bourlémont, la mère nourricière de la Pucelle, descend d’une branche cadette d’une des familles les plus illustres de la contrée, noblesse chevaleresque remontant au VIe siècle et de sang mérovingien, dont les forteresses dans le comté de Bar et le duché de Lorraine surplombaient Frébécourt, Greux, Neufchâteau, Bourlémont, Maxey sur Meuse, Vaucouleurs, Domremy.

L’objet de notre article n’est pas de revisiter toute l’histoire de la Pucelle, toute son histoire familiale, ainsi que celle de ses parents nourriciers, dans le cadre historique de l’époque. Mais, il est intéressant de montrer que l’environnement social de Jeanne n’est pas celui de la petite bergère décrite par Michelet. Bien déterminer la date de naissance de la Pucelle est une nécessité pour nous situer dans un cadre historique pertinent, même s’il est différent de celui de la légende.

Les historiens de l’histoire « officielle », considèrent que Jeanne est née en 1412 et qu’elle ne peut pas être, en conséquence, la fille du duc d’Orléans et de la reine Isabeau de Bavière, née le 10 novembre 1407 ( calendrier Julien ). C’est là que se situe la ligne de résistance principale des tenants de la légende. Or, cette date de 1412 n’est pas le produit de la recherche historique mais un parti-pris des historiens modernes, répété et jamais corrigé. La date de 1412 est, en effet, une date impossible, car ne faisant appel à aucune référence historique ou à aucune déduction logique.
Nous allons définir cette date à partir d’éléments historiques, des preuves et des présomptions à notre disposition.
Nous ne retiendrons pas contre les partisans de la naissance de la Pucelle à Domremy en 1412, l’absence de tout registre paroissial, mentionnant la date du baptême de notre future héroïne nationale, et l’absence de toute documentation administrative pouvant constituer le matériau de base d’une documentation historique.
Le problème est très complexe pour les historiens modernes car, s’ils devaient reconnaître leur erreur et ramener la date de naissance de la Pucelle en 1407, cela viendrait interférer avec la naissance de Pierre, le dernier fils de la famille du Lys, né en 1408 ! (1408 est la date couramment admise par les historiens de l’histoire « officielle »). Compte tenu des durées d’allaitement et donc de l’étalement des naissances dans le temps à l’époque de la Pucelle, des naissances très rapprochées sont difficiles à admettre, en cas de vie des enfants. L’interférence entre la naissance de Pierre et celle supposée de Jeanne dans ce cas n’est pas envisageable. C’est, de ce fait, admettre que la Pucelle ne peut pas être la fille des époux du Lys. Difficile pour ces « historiens » de trouver alors une nouvelle famille adoptive puisqu’ils ne veulent pas envisager que la Pucelle puisse être la fille de Louis d’Orléans et d’Isabeau de Bavière.

4) La revue des actes règlementaires qui permettent de fixer la naissance d’un individu au cours des âges :

Nous n’avons pas d’actes paroissiaux ou d’état-civil pour prouver nos assertions sur l’étude de la famille d’Arc au temps de la Pucelle sauf les enquêtes de notoriété faisant appel à témoins ou des actes notariés. Toutes les études sur la famille d’Arc sont donc basées sur la tradition orale.
La difficulté réside donc pour les chercheurs dans la récupération de documents témoins en l'absence d'actes civils ou religieux. Mais il faut considérer que nous sommes avantagés dans le cas de la Pucelle par rapport à d’autres personnages car nous avons des éléments importants à prendre en compte issus de la tradition orale et des enquêtes en particuliers.  
L’évolution règlementaire est lente en la matière car il faut attendre l'Ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 de François Ier qui impose le français pour la rédaction de tous les actes et impose à l'Eglise la tenue de registres des baptêmes.
L'Ordonnance de Blois par Henri III en 1579 fait généralisation de la tenue des registres des baptêmes et demande la tenue des registres des mariages et des sépultures, afin d'éviter les mariages clandestins de mineurs, stipule que le mariage doit être célébré devant le curé paroissial et établit la publication des trois bans qui persistent de nos jours, ainsi que la célébration devant quatre témoins dignes de foi.

L'Edit royal de Louis XIII en 1639 fait confirmation des règles de l'Edit de Blois.
L'Edit royal de Saint Germain en Laye de Louis XIV en 1667 confirme des règles de l'Edit de Blois qui semble toujours avoir du mal, cent dix-huit ans après, à être appliqué.

Baptême : Signature pour les parrains marraines
Mariage : Signature des conjoints et des témoins
Inhumation : Signature de deux des parents

Le roi exige la rédaction des actes en double exemplaire, dont le double doit être déposé au greffe…

A l’époque de la Pucelle, on ne pouvait pas se référer à un document administratif ou paroissial pour connaître le jour et l’année de sa propre naissance. On ne connaissait son âge approximatif que d’après les souvenirs verbaux de sa famille, de proches ou d’autres personnes, sous réserve que ces dernières n’altèrent pas le souvenir qu’ils en avaient au cours des années.
C’est pourquoi tous les textes utilisables, sauf un, dans le cas de Jeanne d’Arc ne visent pas l’année de sa naissance, mais exclusivement son âge à une époque donnée.
Au XVe siècle, l’année commençait à Pâques, en suivant le calendrier Julien ou encore suivant l’ancien style comme on dit aussi. Le calendrier julien fut d'utilisation commune en Europe et en Afrique du Nord depuis l'Empire romain jusqu'en 1582, lorsque le pape Grégoire XIII promulgua le calendrier dit grégorien. Cette réforme était rendue nécessaire par l'excès de jours intercalaires du système julien par rapport aux saisons astronomiques. En 1582, il était décalé de dix jours par rapport au Soleil. Il en résultait un déplacement de plus en plus important vers l'été de la date de Pâques, fête du printemps et du renouveau, fondamentale dans le calendrier liturgique romain.
Les intéressés étant susceptibles d’apprécier leur âge de millésime en millésime, il existe de ce fait un élément de confusion, assez malaisé à rectifier quand on passe du calendrier Julien au calendrier Grégorien.
Tous les auteurs ou historiens de manuels scolaires ont pris l’habitude d’apporter un correctif dans le millésime des évènements survenus entre le 1er janvier et le jour de Pâques.
Par exemple, la Pucelle a entrepris le 23 février 1429 son voyage vers Chinon ou elle est arrivée le 06 mars 1429. Mais ses contemporains relatent son arrivée le 06 mars 1428, à la fin de l’année 1428, puisque l’année 1429 a commencé trois semaines plus tard, le 27 mars.
Dans le calendrier Julien le premier mois de l’année était originairement celui de mars, de sorte que le mois de décembre était le dixième (comme son nom l’indique), celui de janvier le onzième, etc. De plus, au Moyen-Age, le millésime ne change pas le premier mars mais le jour de Pâques. La fête de Pâque étant elle-même une fête mobile qui peut intervenir entre le 22 mars et le 25 avril.
Le nouveau style dit Grégorien est intervenu le 1er janvier 1564.
La matière est précise mais ne change pas les fondamentaux de la recherche historique. Ces observations montrent néanmoins, les difficultés générales que l’on rencontre pour toute recherche sur la période de la fin du Moyen-âge, et qui se présentent également au sujet de la naissance de la Pucelle.

Nous remarquons aussi, que les auteurs modernes ne savent pas lire les chroniques avec toute l’attention nécessaire. Le champion dans ce domaine est Jacques Cordier qui est incapable de donner une date exacte à partir du texte d’une chronique. Ce dernier ne tient pas compte du mois de telle ou telle année, ce qui a quand même son importance. Nous avons systématiquement avec lui au moins une année de décalage et même dans certains cas deux années. Cet auteur éloigne donc systématiquement la date de naissance de la Pucelle vers les années 1409 à 1411 en utilisant systématiquement le calendrier Grégorien.
Quand Cordier spécifie que Jeanne arrive à Chinon en 1429 ( calendrier Grégorien ), nous sommes encore en 1428 en calendrier Julien puisque nous sommes un 25 février. Dans le cas de la chronique de Monstrelet l’âge de la jeune fille est fixé à vingt ans environ, donc situe, pour nous, sa date de naissance entre septembre 1407 et septembre 1408 en calendrier Julien ! Cette date qui s’étalonne donc entre fin septembre 1407 et fin septembre 1408 est compatible avec la naissance le 10 novembre 1407 de la fille d’Isabau de Bavière.
L’avantage avec Jacques Cordier c’est qu’il affirme : « que la date du 6 janvier 1412, bien qu’admise comme étant celle de la naissance de Jeanne, par la grande majorité des auteurs, ne saurait être retenue par l’Histoire. » L’historien reprend le dessus et nous le remercions !
Nous maintiendrons la datation de l’époque pour conserver ainsi leur intégralité aux documents et aux faits.

5) Les preuves et présomptions historiques de la date de naissance de la Pucelle :

Nous avons des pistes principales pour nous renseigner sur cette date en nous inspirant de l’éminent historien Jean Bancal (1926 - 2008), dont le livre est inscrit dans notre bibliographie :

Le livre de Jean Bancal

1) Lors de la seconde audience de son procès le 22 février 1430 ( calendrier Julien ) - 1431 ( nouveau style ), elle déclare qu'elle avait 13 ans lorsqu'elle a entendu des voix pour la première fois. Elle le confirme le 24 février en disant 13 ans ou environ et le 27 février elle dit que lorsqu'elle s'est rendue pour la première fois à Vaucouleurs il y avait bien sept ans que sainte Catherine et sainte Marguerite l'avaient prise sous leur protection. Elle avait donc au moins vingt ans en mai 1428, date de la première démarche auprès de Baudricourt. Nous retenons une fourchette de date crédible entre mai 1407 et mai 1408.

2) Nous disposons du texte dans lequel le tribunal a pris parti. Dans l'acte d'accusation en 70 articles présenté le 27 mars par le promoteur du procès à la fin de la première série d'interrogations, figure un article 8 ainsi conçu : Vers sa 20ème année, Jeanne, de sa propre volonté et sans la volonté de ses parents, est allée à Neufchâteau pendant quelque temps... Nous sommes en juillet 1428 lors de son déplacement à Neufchâteau ce qui nous donne 1407 - 1408 comme date de naissance.
( Notre commentaire : Nous sommes ici sur une donnée juridictionnelle d’un tribunal d’Inquisition, c’est-à-dire sur une donnée dont la valeur n’est pas contestable à l’époque par un tribunal d’état et, qui de ce fait, a une valeur que l’on qualifierait d’officielle aujourd’hui. On n’imagine difficilement qu’un article rédigé par les représentants de l’Inquisition puisse subir des falsifications sur ses propres interrogatoires ou que ses juges puissent être induits en erreur compte-tenu de la crainte qu’ils inspirent ).

3) Les chroniqueurs contemporains de Jeanne donnent sur son âge des indications contradictoires, ce qui prouve qu’ils ne connaissaient pas avec certitude l’âge exact de Jeanne, mais aucun n'envisage qu'il ait pu s'agir d'une gamine de 16 ou 17 ans.......
Sauf Jean d’Aulon et Christine de Pizan que nous évoquerons.
«  Ces chroniqueurs étaient pourtant les mieux placés pour en juger. Il est donc risible que des auteurs modernes, qui n’ont pourtant pas de meilleures sources, se soient autorisés à affirmer ex cathedra qu’elle est certainement née en 1412  »
cf. livre de Bancal page 44.
Nous étudierons les chroniqueurs et leurs dires dans le détail par la suite. Jean Bancal pointe là un sujet très important, car tous les auteurs modernes font référence à ces chroniqueurs, sans savoir de quels personnages ils parlent, et sans savoir si ces derniers pouvaient témoigner en toute indépendance. La présente étude comportera une revue de tous les chroniqueurs pour déterminer leur crédibilité.
Jean Bancal signale Perceval de Cagny, l’historiographe des ducs d’Alençon, qui renforce nos doutes sur la version classique emportant la date de 1412. Le rédacteur de la chronique du Religieux de Saint-Denis Jean Chartier et Monstrelet nous confortent dans notre fourchette de dates entre 1407 et 1408. Ces auteurs qui donnent une naissance possible, à partir de novembre 1407 pour le premier, et septembre 1407 pour le second, confirment notre évaluation dans la partie basse de notre fourchette.
Jean Lefèvre de Saint-Rémy et Wavrin du Forestel nous donnent des dates approximatives à partir de septembre 1407. Nous sommes encore dans la partie basse de notre fourchette.
Les chroniqueurs Anglais qui ne reconnaissent pas que la Pucelle est morte sur le bûcher, avec raison, croyons-nous, ne nous renseignent pas sur la date de naissance de la Pucelle.

4) Pendant le séjour que Jeanne fit à Neufchâteau, dans la seconde quinzaine de juillet 1428, elle fut assignée devant le Tribunal de Toul, pour s'y défendre dans un procès en rupture de promesse de mariage, qui lui avait été intenté par un garçon du pays. Si Jeanne avait été mineure son père aurait été obligé de l'accompagner à Toul pour plaider en son nom en suivant les règles du droit coutumier de l'époque. ( Notre commentaire : le premier procès de Jeanne a bien eu lieu devant l'Officialité de Toul, pour une affaire de rupture de promesse de mariage... Et Jeanne va s'y défendre seule, ce qui effectivement implique qu'elle est alors âgée de plus de vingt ans... Compte tenu de la majorité fixé à 20 ans localement, à l’époque, Jeanne avait 20 ans lors de son assignation en 1428 et lors de son séjour à Neufchâteau ; sa naissance peut être fixée entre la seconde quinzaine de juillet 1407 et la seconde quinzaine de juillet 1408 ).

5) Une autre preuve de la véritable année de naissance est fournie par le témoignage de Hauviette de Syna (ou Syonne) au procès de réhabilitation. Elle affirme que Jeanne était plus âgée de trois ou quatre ans. ( Notre commentaire : Hauviette dépose le 29 janvier 1456 en calendrier Grégorien. Hauviette avait 45 ans et Jeanne était son aînée de trois ou quatre ans. Une date de naissance de la Pucelle ressort donc au début des années 1407 ou 1408. Le témoignage d’Hauviette est recoupé pas celui de Simon Musnier, également entendu comme témoin au procès de réhabilitation, qui a évoqué certains détails de la jeunesse de Jeanne et a notamment dit « elle était bonne et consolait les malades. Quand j’étais petit, je ne me portais pas bien et elle venait me soigner et me réconforter ». Simon Musnier était né en 1411 comme Hauviette et son témoignage donne à penser que Jeanne était plus âgée que lui. Si Jeanne, née en 1407, avait quatre ans de plus que son petit camarade Simon, son comportement est plus vraisemblable que si elle avait eu un an de moins que lui.

6) Dans son livre Jeanne d’Arc et ses lys, page 208, Edouard Schneider publie une photographie d’une gravure du XVIe siècle qui se trouve à la Bibliothèque Nationale, représentant Jeanne casquée, avec, au-dessous, le texte suivant :
« Joan of Arc, the victorious leader of the French Armyes ; she was condemned by the English for a witch and burnt at Rohan July 6 th 1461 being about 22 Yeares of age ».
Dans le millésime, le graveur a manifestement eu une inadvertance en dessinant un 6 au lieu d’un 3. Il y a également une erreur sur la date du supplice ; mais l’important est l’âge. Or, environ vingt-deux ans en mai 1431 correspond à une naissance en 1408 ou 1409. Dans son imprécision ce texte implique une date de naissance intermédiaire entre 1407 et 1412, mais nettement plus proche de 1407 que de 1412.

7) Martial d’Auvergne mit en vers la Chronique de Jean Chartier sous le titre Vigiles de Charles VII. L’auteur est un procureur parisien qui parait être mieux renseigné que d’autres chroniqueurs. On lit dans ce poème, paru en 1484, que l’on trouve dans Quicherat, V, 52, qu’à dix-huit ans, Jeanne était encore une bergerette, ce qui est inconciliable avec la date traditionnelle de naissance de 1412, impliquant qu’elle avait seize ans lorsqu’elle effectua, en mai 1428, sa première démarche auprès de Baudricourt. Par contre, née en 1407, il est bien exact qu’à dix-huit ans elle se trouvait encore à Domremy. ( Notre commentaire : sans le vouloir ou très malin, Martial d’Auvergne nous donne la solution ! Jean Bancal dit qu’il vend la mèche ).

8) Monsieur Gérard Pesme (cité dans notre bibliothèque de référence) se réfère à un article de M.de Puymaigre publié dans la revue des questions historiques de 1889 page 563 et intitulé Jeanne d'arc d'après un historien du XVe siècle. Le chroniqueur italien dont il s'agit, contemporain de la pucelle, Giovanni Sabadino écrivait en citant un document daté de 1431 : telle fut la vaillante pucelle ayant d'après ce qu'on m'a dit, 24 ans d'âge. Cet âge correspond exactement à une naissance en 1407 et recoupe les dépositions faites par Hauviette au procès de réhabilitation. Nous reparlerons de Sabadino.

Ces éléments réunis par l’éminent historien Jean Bancal sont suffisants pour montrer que les arguments ne manquent pas pour contester la date de 1412 couramment admise. Nous pouvons même affirmer que cet argumentaire ruine définitivement la crédibilité de la date de 1412. Les données de Bancal constituent donc bien un faisceau de preuves et de présomptions qui nous donnent les dates de 1407 à 1408 comme les dates à retenir sur le plan historique. Nous pouvons même préciser de mai 1407 à mai 1408 pour suivre les indications judiciaires des procédures de l’époque. Ces dates constituent notre fourchette de référence, ce qui nous permet déjà d’affirmer qu’il est tout à fait possible que la Pucelle soit née le 10 novembre 1407. Nous recenserons cependant toutes les principales sources pour rester exhaustif et renseigner nos lecteurs, à défaut de trouver d’autres arguments à la hauteur de ceux de Monsieur Bancal.

6) Les cinq procès, dans lesquels la Pucelle est impliquée, n’ont pas été versés dans le domaine public, à l’époque, pour renseigner les chroniqueurs :

Le procès de Toul de 1428 :

Une plaque apposée non loin du parvis de la cathédrale de Toul indique que " s'étant présentée seule lors d'un procès matrimonial intenté par son fiancé (un fiancé éconduit, dont on ignore le nom…) en 1428 ", elle aurait alors été majeure ( 20 ans selon le droit local ) et serait donc née au plus tard en 1408.

La plaque qui commémore le procès de Toul

La Pucelle devait être majeure pour pouvoir se présenter, sans son représentant légal, à ce procès. La majorité à l’époque était fixée à 20 ans, et l’on peut donc en déduire que Jeanne avait 20 ans en 1428. Et sans doute même en 1427 lors de l’assignation à l’origine du procès. Ce premier procès nous permet de déduire logiquement d’un fait, une donnée historique de valeur, l’âge de la Pucelle.
Si Jeanne était née en 1412, comme on veut nous le faire croire, elle ne pouvait à l’âge de 16 ans plaider elle-même dans cette affaire.
Les usages locaux de la ville de Toul et du Pays Toulois homologués et autorisés le 30 septembre 1747 consultés, les coutumes générales de l’Evêché de Metz, écrites en 1601, également consultées, précisent dans leurs articles 14 et 18 traitant du droit, état et condition des personnes en matière épiscopale, que seules les jeunes filles âgées de plus de 20 ans sont en leur puissance et peuvent valablement être appelées en jugement.
Or donc, si les coutumes décrites de Metz et Verdun sont identiques, celles de Toul l’étaient également car nous sommes dans les Trois-Évêchés, qui étaient une province autonome du royaume créée, à la suite de la paix de Westphalie.
Le procès matrimonial de Jeanne à Toul en 1428 est, lui aussi, bien évidemment, une pièce procédurale qui peut nous apporter une précision sur la date de naissance de la Pucelle. Nous sommes en présence d’un document historique, qui concerne un personnage emblématique de notre Pays, non communiqué par l’Eglise.

Par la loi du 5 janvier 1790, l’Assemblée constituante déclara les archives ecclésiastiques propriété de l’État et ordonna leur versement dans les dépôts publics. C’est ainsi que les archives diocésaines antérieures à cette date, registres de catholicité compris, sont conservées dans les services des archives départementales.
L’Eglise remplissait sous l’ancienne monarchie des rôles sociaux et administratifs, qui lui étaient confiés par le pouvoir royal, en contrepartie de privilèges (reconnaissance de droits privés et d’exemptions fiscales). L’Eglise exerçait ainsi des fonctions d’ordre publique pour le compte de l’Etat (état-civil), et il est donc compréhensible que ses archives reviennent à l’Etat. Cela est d’autant plus important quand elles concernent des personnalités publiques, ayant eu un rôle dans l’histoire de la Nation.
Pourquoi les pièces de ce procès sont introuvables aujourd’hui dans les archives départementales ? L’Eglise a-t-elle conservé ces pièces et, si c’est le cas, pour quelle raison ?
Nous abordons là le problème de la disparition de toutes les pièces importantes qui touchent à la naissance et à l’état-civil de la Pucelle, et qui concerne aussi bien les administrations civiles que religieuses. Comme nous le verrons, la destruction ou la disparition, ou la non mise à disposition des pièces ou documents, qui émaillent la vie de la Pucelle, sont des évènements récurrents dans son histoire.

La Commission des docteurs de Poitiers dit procès de Poitiers en 1429 :

Le procès de Poitiers contient des renseignements essentiels sur l’état-civil de la Pucelle comme toutes les procédures de ce type.
Le compte-rendu de ce procès, qui ne comporte pas les mêmes conclusions que le procès de condamnation de l’Inquisition, est un document compromettant pour l’Eglise. Il démontre que Jeanne est une personne, dont la religion inspire confiance à l’Eglise, donc au pouvoir politique, puisqu’il y a même dans cette Commission un inquisiteur qui questionne la Pucelle.
Jeanne est soigneusement interrogée par une commission de docteurs en théologie. Parmi les conseillers du roi on remarque Regnault de Chartres, Archevêque de Reims, Chancelier de France. La Commission, dont il fut nommé président, se composait de Pierre de Versailles, professeur de théologie, de l’abbé de Talmond, plus tard évêque de Meaux, de Pierre Turrelure dominicain, inquisiteur de Toulouse, de Jean Lombard, professeur de théologie à l'université de Paris, de Guillaume Aimeri, dominicain, professeur de théologie, de frère Séguin, dominicain, professeur de théologie, de Jean Érault, professeur de théologie, de Guillaume Le Maire, chanoine de Poitiers, bachelier en théologie, de Pierre Seguin, religieux Carme, de Mathieu Mesnage, de Jacques Maledon, de Jourdain Morin, entre autres docteurs et conseillers.
Gobert Thibault, écuyer du roi, est chargé de suivre attentivement les travaux du tribunal. Ce dernier est délégué par le confesseur de Charles Gérard Machet.
Ce dernier peut être considéré comme un dignitaire de la Couronne même si sa discrétion et son ambition au service du Royaume ne le poussait nullement à se faire valoir ou à se mettre en avant. Depuis son action pour s’opposer au traité de Troyes jusqu’au règlement de la Pragmatique Sanction le fidèle du roi est à la manœuvre.
Les documents contemporains désignent généralement Machet par le seul titre de confesseur du roi. Rares sont ceux qui ajoutent à ce titre celui de conseiller royal.
Pourtant, Machet était bien conseiller du roi, et à un degré plus éminent que nombre de ceux qui en portaient le titre sans jamais ou presque approcher du souverain ou de son conseil. Ses rapports avec Charles VII n’étaient pas limités, il s’en faut, aux actes de la pratique sacramentelle.
Entre 1440 et 1448 ses lettres témoignent qu’il pouvait accéder assez facilement auprès du roi pour l’entretenir d’affaires particulières ou d’intérêt général. Déjà en 1429, lors de ce moment crucial du règne que fut la venue de Jeanne à la cour, on le voit parfois au nombre de ceux qui entourent le roi dans son « retrait ».
En des circonstances plus ordinaires, il était à même d’exercer une influence sur certains aspects de la politique royale. La plupart des affaires importantes étaient traitées par le conseil royal, et l’on a des indices que Machet a siégé en différentes circonstances au sein de cet organe central du gouvernement. Si l’on considère ensemble la participation de Machet aux écrits officiels et le témoignage de ses lettres personnelles, il ressort que son activité publique s’est déployée pour la plus grande partie dans le domaine des affaires ecclésiastiques entendues au sens large : rapports avec le clergé du royaume et avec l’université de Paris, mais aussi avec le Saint-Siège et le concile de Bâle. Et les affaires ecclésiastiques c’est aussi la Commission de Poitiers. Le roi est donc directement informé par son conseiller qui a un émissaire dans la place.
Lire en ligne l'article sur Gérard Machet.

Tous ces théologiens de ce premier procès fournissent un avis contradictoire, par rapport au Procès de Rouen de 1431, qui lui-même fournit un avis contradictoire, par rapport au Procès de réhabilitation. La religion et la théologie catholique sont toujours les mêmes, mais les juges d’Eglise se désavouent à chaque nouvelle procédure ! La disparition des pièces procédurales est donc une aubaine sinon une nécessité pour l’Eglise, qui ne veut sans doute pas apparaitre comme une institution versatile.
Le procès-verbal des interrogatoires qu'ils firent subir à la Pucelle n’a jamais été rendu public.
On devine donc pourquoi. Plus tard, devant ses juges de Rouen, Jeanne l'invoque, fréquemment comme une pièce importante, et pour cause. Ce que l'on en sait a été conservé par la chronique de Cousinot ou chronique de la Pucelle (Cousinot est maître des requêtes à l’Hôtel du roi), et par plusieurs dépositions dans le procès de réhabilitation.
Lire en ligne "La chronique de la Pucelle" de Cousinot.

Cette commission présidée par Regnault de Chartres a produit le registre de Poitiers. Le Cardinal Regnault de Chartres, conseiller du Dauphin dès 1418, est un fidèle dignitaire de la Couronne et de l’Eglise comme le sont les trois frères Jouvenel des Ursins. Des profils remarquables dans cette affaire ! Examinons le profil de Regnault de Chartres :

Les armes de Regnault de Chartres.

Ce personnage est Archevêque de Reims en 1414, camérier de l'antipape Jean XXIII, grand chancelier de France, à titre provisoire en 1424, puis à titre définitif en 1428, gouverneur des provinces d'Île-de-France reconquises en 1429, archevêque d'Embrun en 1432, d'Agde en 1436, évêque d'Orléans en 1439, cardinal en 1440, évêque de Mende en 1444.
Archevêque de Reims, Regnault de Chartres fut chargé du sacre de Charles VII et pratiqua, selon la tradition, les saintes onctions sur la personne du roi. Regnault de Chartres fut nommé au temporel gouverneur des provinces reconquises. Ainsi, il supervisa les opérations militaires de Compiègne et de Soissons, en 1430. Mais il décida le licenciement de l'armée, laissant Jeanne la Pucelle seule avec quelques capitaines, au moment où le roi Charles ne voulait plus se battre mais négocier.
Après la disgrâce de La Trémoille, en 1433, il conserva sa charge de chancelier, sous réserve qu'il désavoue publiquement l'ancien grand chambellan, ce qu'il fit sans scrupule. En tout état de cause, il vit concrétiser son projet de rapprochement avec le duc de Bourgogne lorsque fut signé le traité d'Arras en 1435, pour la négociation duquel, il faisait naturellement partie de l'ambassade du roi de France.
Le roi lui fit obtenir la pourpre cardinalice qu'il reçoit du pape Eugène IV le 28 novembre 1439, lors du concile de Florence. En 1444, il devient évêque de Mende mais il meurt le 4 avril à Tours, au cours des négociations pour la trêve entre Charles VII et Henri VI qui sera signée quelques semaines plus tard et qui marquait l'aboutissement, certes provisoire, de sa politique de réconciliation entre la France et l'Angleterre.

Les documents de la Commission de Poitiers ont été entre les mains des trois frères Jouvenel des Ursins. Jean remplace en 1449 à l’archevêché de Reims son frère Jacques, qui se voit pour sa part attribuer l’évêché de Poitiers, tandis que leur autre frère, Guillaume, occupe le poste de chancelier de France ! Il est donc le ministre de la justice et contrôle toute la production judiciaire et tous les documents archivés.
Ces trois personnages occupent les postes qui ont à connaître de la procédure et de la communication de la procédure auprès du Dauphin. Trois fidèles de Charles, sur lesquels ce dernier peut compter pour contrôler la sortie des informations issues de cette Commission. Jean Jouvenel des Ursins conservera la confiance du Dauphin devenu Roi, au point de présider le procès de réhabilitation de la Pucelle. C’est le principal acteur politique de l’époque au service du Roi, nonobstant sa qualité de dignitaire ecclésiastique.
Ces trois frères ont eu un rôle essentiel dans la conservation et l’archivage des documents de Poitiers, si ce n’est dans la disparition de ces documents. Ils se retrouvent successivement les acteurs principaux dans les sphères politiques, administratives et religieuses du traitement du dossier. Ils sont tous les trois conseillers du Dauphin dès 1418 ; Jean II est, de plus, avocat du roi dès 1429, au moment de la Commission de Poitiers, et débute une longue carrière au service du roi. Guillaume est fait chevalier en 1429 et deviendra Garde des Sceaux et chancelier plus tard. Jacques contrôlera l’évêché de Poitiers. Les exemplaires de la minute du Procès de Poitiers sont sous bonne garde, au moment où ceux-ci disparaissent ! Dressons le curriculum vitae de ces trois hauts personnages, qui ont été de brillants serviteurs du Roy, pour illustrer nos affirmations :

Jean II Jouvenel des Ursins (1388-1473), prélat et chroniqueur, né à Paris le 23 novembre 1388, mort le 14 juillet 1473. Il étudia le droit et fut nommé maître des requêtes (1418), puis avocat général au parlement de Poitiers (août 1425).

Jean II Jouvenel des Ursins

Il devint avocat et chapelain de Charles VII en 1429, archiprêtre de Carmaing, doyen d'Avranches, conseiller du roi et fut envoyé en ambassade à Rome auprès d'Eugène IV. Il succéda, comme évêque de Beauvais, à Pierre Cauchon (24 avril 1432), et fut sacré à Rome par le cardinal J. Orsini (24 mars 1483). Il avait laissé sa charge d'avocat général à son frère Jacques, pour mieux s'occuper de son église. Il prit part aux négociations du traité d'Arras (1435). Après le recouvrement de Paris, il fut élu conservateur des privilèges de l'Université. En 1444, il fut nommé évêque de Laon, puis, en 1449, archevêque de Reims, en place de son frère Jacques. Son savoir, ses talents, sa grande autorité lui permirent de jouer un rôle considérable, soit dans les affaires de l'Église, aux assemblées de Chartres (mai 1450) et de Soissons (juillet 1465), soit dans beaucoup d'autres circonstances importantes, aux États d'Orléans (1439), aux conférences de Meaux (1446) et de Paris (1447), dans la capitulation de Rouen (1419), dans des missions auprès du duc de Bourgogne en 1451 et 1452, dans le procès de Jacques Cœur (1451-1453) et de Jean II d'Alençon (1458), dans la révision du procès de Jeanne d'Arc (1456) et dans la querelle entre l'université de Paris et les ordres mendiants (1457). Jean II Jouvenel est surtout connu comme historien de Charles VI. Sa Chronique (1380-1422), rédigée à Poitiers, du vivant de son père, est une des sources les plus précieuses pour l'histoire de cette époque. Il a laissé beaucoup d'autres écrits (épîtres, discours, sermons, Traité de l'Office du chancelier, discours touchant les questions et différends entre les rois de France et d'Angleterre, etc.) qui abondent en détails curieux et utiles. En somme, il fut un des hommes les plus remarquables de son temps et un des plus fins conseillers et négociateurs de Charles VII.

Guillaume Jouvenel des Ursins (1401-1472), frère du précédent, baron de Trainel, Capitaine, lieutenant des Gens d’armes de Charles, dauphin du Viennois, conseiller au parlement de Paris à Poitiers (14-20/03/1423, 1425), chevalier (1429), Bailli de Sens (1437-1445), Lieutenant du Gouverneur du Dauphiné (1435-1440), Garde des Sceaux et Chancelier de France (16/06/1445, par Lettres à Sarry près Châlons), démis (1461) puis rétabli (1465-1472) par le Roi.

Guillaume Jouvenel des Ursins

Il prononce en 1453 la sentence royale contre Jacques Cœur. Le chancelier de France est un grand officier de la couronne nommé par le roi. C'est le chef de la justice et de tous les conseils du Roi. Sous Charles VII, on voit apparaître une section spécialisée dans les affaires contentieuses.

Jacques Jouvenel des Ursins (1410-1457), frère du précédent, ecclésiastique français, archevêque de Reims (1445), dignité dont il se démit en 1449 en faveur de son frère aîné Jean Jouvenel des Ursins après qu'il a été institué patriarche d'Antioche par le pape Nicolas V.

Jacques Jouvenel des Ursins

Le 5 novembre 1449, il se voit confier l'évêché de Poitiers, et le 30 du même mois, celui de Fréjus, dignité qu'il échangea contre celle de prieur de Saint-Martin-des-Champs à Paris. Il est Pair de France.

La famille Jouvenel des Ursins

On aura compris que le pouvoir royal contrôle son chancelier et les dignitaires d’Eglise précités qui ont eu à connaitre du Procès de Poitiers. Gérard Machet, un fidèle de Yolande d’Anjou, et son émissaire informe le roi que l’Eglise le soutiendra car la Pucelle n’est pas une sorcière. L’Inquisition, les docteurs et théologiens de l’Eglise affirment donc que le Dauphin peut « fréquenter » la Pucelle sans encourir le blâme de l’autorité religieuse et sans danger pour la réputation de la Couronne. Il n’est pas question de présenter Jeanne comme étant la sœur de Charles, pour conserver l’effet psychologique sur les foules et l’effet tactique sur le plan militaire dans les campagnes à venir ( c’est ce que nous appelons l’opération Bergère dont Yolande d’Anjou est le principal promoteur ).
Il se trouve que le pouvoir royal ne communique pas régulièrement de l’information à l’ensemble des populations du Royaume, et que, d’ailleurs, tous les actes du Dauphin n’ont pas vocation à faire l’objet de communication publique.
Dans cette procédure, les nécessités politiques de la Couronne sont présentes. C’est pourquoi le procès de Poitiers n’a pas été rendu public par l’Eglise ou par les services du dauphin Charles, et plus tard, par ceux du roi. Ce document qui n’est pas produit lors du procès de Rouen ni lors du procès de réhabilitation a, sans doute, fait l’objet d’une destruction. Il pouvait, cependant, lors de la réhabilitation, servir alors la cause du roi. Fallait-t-il encore que le document soit neutralisé sur le plan de l’état-civil de la Pucelle pour convenir à toutes les parties.
Selon certains, la destruction du fameux registre de Poitiers aurait eu lieu en présence de Regnault de Chartres aux environs du 30 septembre 1429. Il aurait été si honteux d’avoir présidé à une telle « trufferie », comme on disait alors, « qu’il avait voulu donner à Monseigneur Cauchon ce gage de loyauté et de sa bonne foi, trop longtemps surprise, disait-il. Et il vit dans le fait que Jeanne ne sut pas ce qu’il venait de faire une preuve que ses voix ne lui révélaient pas la vérité » cf. R. de Rigné – La vraye histoire de Jehanne la Pucelle – Paris – La Renaissance universelle – tome 1 page 132.
Le Cardinal Regnault de Chartres est dans la ligne de l’Eglise, qui n’a jamais reconnu la véracité des voix de la Pucelle, c’est-à-dire son inspiration « divine ». Nous pouvons comprendre cela en qualité d’historien, mais nous pouvons difficilement comprendre l’attitude d’un dignitaire de l’Eglise, qui considère que l’examen de Poitiers est une « trufferie ». Les clercs et théologiens étaient quand même nombreux, et d’un tel niveau de compétence, pour examiner la Pucelle, que l’on peut difficilement mettre en doute leur vigilance.

Un écrivain catholique, Edouard Schneider, a eu la chance d’être autorisé à consulter une partie des fonds secrets de la Bibliothèque du Vatican et d’y découvrir « Le livre de Poitiers ». On sait qu’il s’agit des interrogatoires de Jeanne, à Poitiers, en 1429, à la demande du Dauphin, par une Commission de théologiens, qui révèlent la naissance princière de Jeanne d’Arc.

L'ouvrage d'Edouard Schneider.

Edouard Schneider s’exprime ainsi :
« J’ai pu ainsi constater que ces prêtres ne croyaient pas aux voix de Jeanne et qu’ils refusaient de la cautionner comme une envoyée de Dieu. Devant cette obstination qui gênait le monarque, il fut obligé de faire envoyer à Domrémy deux moines pour enquêter sur place. C’est ce rapport écrit des deux moines qui mentionne que, dans ce petit village de trente feux, tous les habitants avaient certifié que Jeanne était la fille de la reine de France née Isabeau de Bavière, et de son amant le duc Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI. Je pris copie de ce rapport ainsi que d’une partie des interrogatoires lorsque, quelques jours plus tard, Monseigneur Tisserant vint me voir travailler en me demandant ce que j’avais trouvé d’intéressant. J’hésitais à le lui dire, me doutant qu’il n’en serait pas satisfait. Ce fut un beau scandale ! Et vous vous doutez de la suite : on me fit faire le serment de ne pas révéler par écrit mon extraordinaire découverte, car cela risquait de détruire la légende mystique établie par la famille royale, pour camoufler cette naissance adultérine, dont la révélation prouvait la bâtardise du Dauphin ».

Gérard Pesme, auteur de l’ouvrage « Jeanne d’Arc n’a pas été brûlée » paru en 1964, a échangé entre 1954 et 1959 une correspondance avec Edouard Schneider, de laquelle il ressort que la découverte faite au Vatican ne devait pas être révélée pour ne pas détruire la légende.

L'ouvrage de Gérard Pesme.

Le Cardinal Mathieu de l’Académie Française, lorrain d’origine, tout comme son successeur le Cardinal Tisserant doyen du Sacré-Collège à Rome, partageaient entièrement ce point de vue : La naissance doublement adultérine de Jeanne ne devait pas être révélée.

Les origines de la Pucelle rebutent les représentants de l’Eglise, qui doivent faire face à des nécessités canoniques, théologiques et diplomatiques. Une Jeanne, fille adultérine d’Isabeau de Bavière et du Duc d’Orléans, fille du pêché, canonisée par la suite, ne représente pas un parcours de référence pour l’Institution. Le statut des enfants adultérins est très mal perçu à l’époque de la Pucelle sur le plan religieux.

Les chroniqueurs n’ont pas pu avoir ce procès de Poitiers entre les mains pour se renseigner sur la date de naissance de la Pucelle, compte tenu de la rétention du document exercée par les détenteurs. Le cardinal Regnault de Chartres et les trois frères Juvénal des Ursins sont des dignitaires proches de la Couronne, qui ne peuvent enfreindre la raison d’Etat. De plus, on ne les imagine pas non plus sortir des documents contradictoires dans une procédure menée par la Sainte Inquisition lors du procès de Rouen, et à plus forte raison, au moment de la réhabilitation. La Pucelle, blanche colombe à Poitiers, qui devient hérétique à Rouen, et qui redevient une blanche colombe au procès de réhabilitation, est quand même un parcours judiciaire canonique difficile à soutenir pour les représentants de l’Eglise. La raison d’état de l’Eglise intervient donc pour dissimuler ses contradictions judiciaires, et la politique royale qui en est bénéficiaire est de connivence. Les historiens sont face à cette double raison d’Etat du roi et de l’Eglise, et aujourd’hui de la République et de l’Eglise.
A l’issue de cette seconde procédure d’Eglise, nous ne possédons toujours pas un seul élément d’état-civil sur Jeanne la Pucelle.

Le procès de la Pucelle de 1431 :

L’Evêque Cauchon a mis six ans à recomposer les pièces du procès et plusieurs mois avant de transmettre les copies notariées signées de la traduction en latin du procès.
Une fois que le registre qui contenait la minute de l'instrument authentique eut été achevé, il fallut s'occuper d'en faire des copies ou expéditions. Les greffiers eurent l’ordre de Cauchon de dresser cinq expéditions. Manchon, de sa propre main, en écrivit trois. Chacune de ces cinq expéditions fut attestée par les trois greffiers et munie du sceau des deux juges. Des trois expéditions écrites par Manchon, l'une était pour le Roi d'Angleterre, une autre pour l'évêque lui-même, une autre pour l'inquisiteur. Une quatrième dut être envoyée à Rome, avec les lettres des universitaires qu'on lira à la suite des deux procès.
Quant à la cinquième, elle était, ainsi que la minute primitive, restée aux mains de Manchon, qui, en 1455, remit l'une et l'autre aux juges de la révision : " Un cahier en papier dont il était possesseur, contenant toute la notule en français du procès fait autrefois à Jeanne la Pucelle, affirmant que sur ce cahier, écrit de sa propre main, a été fait le procès en latin, écrit dans un autre livre que Manchon nous a aussi exhibé et remis à cet instant : ce dernier livre muni des sceaux de feu le seigneur Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, et de frère Jean Lemaitre, et des attestations des trois greffiers..."
Henri VI, roi de France et d’Angleterre, par l’intermédiaire de Bedford, informe officiellement l’Empereur Sigismond, les rois, ducs et autres princes de toute la chrétienté. L’Université de Paris, pour sa part, écrit au pape, à l’Empereur et au collège des cardinaux.
Les pièces du procès de 1431 ne parvinrent à Rome qu’à la fin du siècle, dans l’indifférence et l’oubli général.

Les chroniqueurs qui étaient proches du roi Charles, du duc de Bourgogne ou du duc d’Alençon auraient pu obtenir des précisions sur l’origine familiale et la naissance de la Pucelle, et le publier, mais il n’en est rien ! Si certains étaient informés ils ont été d’une grande discrétion.
Les cours régnantes n’avaient pas intérêt à divulguer l’information, pour les raisons dynastiques et politiques que nous développerons dans la suite de cet article.
Les témoins et chroniqueurs ne pouvaient étudier le procès de la Pucelle, comme le fait Jean Bancal dans son livre, car le document n’était pas directement accessible pour eux. Les chroniqueurs qui n’avaient pas leurs entrées auprès du roi d’Angleterre, du Pape, de l’évêque Cauchon, ou n’étaient pas des familiers de ces grands personnages, n’ont pas eu l’information. Si certains ont eu l’information il ne pouvait pas diffuser sans restrictions.
Il est donc évident que les chroniqueurs ne pouvaient fixer la date de naissance de la Pucelle avec en main le texte du procès, véritable document de base en la matière, puisque contenant les réponses de la Pucelle à son procès.
Cela étant, nous pouvons nous, maintenant, étudier les éléments de cette procédure, qui nous permettent de fixer l’âge de la Pucelle. La minute du procès de la Pucelle rédigée par le greffier Manchon est conservée par la BNF au département des manuscrits médiévaux.
Le 27 mars 1431, le procès ordinaire commence par le réquisitoire de Jean d’Estivet qui remet l’acte d’accusation au tribunal. Cet acte d'accusation en 70 articles contient l’article 8 ainsi conçu : Vers sa 20e année, Jeanne, de sa propre volonté et sans la volonté de ses parents, est allée à Neufchâteau pendant quelque temps... Nous sommes en mai 1428 lors de son déplacement à Neufchâteau ce qui nous donne bien 1407 - 1408 comme date de naissance.

Le procès de réhabilitation  de 1456, également appelé procès en nullité de la condamnation de la Pucelle :

Le décret pontifical d’introduction de la cause de la vénérable servante de Dieu dite Jeanne d’Arc , en date du 27 janvier 1894, le confirme :
« Elle conquit la mort précieuse des justes, laquelle excita à tel point l’admiration des assistants, que ses ennemis en furent épouvantés. Il y en eut qui s’en retournèrent de cet horrible spectacle en se frappant la poitrine. Les hommes rentrèrent en eux-mêmes, et ils se mirent aussitôt à vénérer Jeanne comme sainte sur le lieu même de son supplice ; de telle sorte que, pour soustraire au peuple les reliques de la Pucelle, son cœur, qui était resté intact au milieu des flammes et dont le sang coulait, fut jeté avec ses cendres par les ennemis ».
Mais alors, si tout Français était persuadé, dès 1431, de l’iniquité du procès qui avait condamné la Pucelle au bûcher, une question se pose : Pourquoi avoir tant attendu avant de la porter sur les autels ?
Jeanne n’a-t-elle pas été réhabilitée, sur l’injonction du Roi et avec la bénédiction du Pape, au cours d’un procès en révision, vingt-cinq ans après sa mort ? Le roi devait attendre la mort de la Pucelle pour diriger sa diplomatie sur une procédure de réhabilitation.
Cette procédure était indispensable pour assurer la pérennité de la monarchie française. Pour expliquer cette nécessité il nous faut aborder d’abord la notion de royauté de droit divin pour expliquer les enjeux du procès de réhabilitation.
Aux XIIe et XIIIe siècles, ce n'est pas le roi dans sa personne propre qui possède l'autorité suprême, mais la royauté elle-même. La notion de royauté de droit divin est instituée par les juristes, à la faveur de la guerre de cent ans, durant laquelle l'autorité de la monarchie française est contestée et à besoin de s'affirmer.
Avec la théorie de la royauté de droit divin, les rois de France reçoivent leur autorité directement de Dieu, sans l'intermédiaire de l'Eglise, de telle sorte que ce pouvoir divin ne saurait être limité ni par une autorité morale, ni par un contrat social avec le peuple. C'est sur cette notion que se fonde la monarchie Française. Le terme absolu vient de la racine latine absolutus qui signifie indépendant de, détaché de, autonome. Il est nécessaire de revenir sur ces notions pour comprendre l’attitude de Charles VII.
La politique du roi s’inspire donc directement de cette notion de la royauté de droit divin pour réunir le procès dit de réhabilitation. L’objet du procès de réhabilitation est de sauver l’honneur de la dynastie et de la Monarchie Française, qui a été souillés par le procès intenté à la Pucelle par l’Inquisition.

Ce procès a profité aux Anglais qui pouvaient ainsi considérer que le roi Charles était illégitime, et donc toute sa lignée, car intronisé par la Pucelle déclarée hérétique.
Ouvrir le procès de réhabilitation de la Pucelle en faisant état de sa véritable identité n’était pas souhaitable, car le roi ne pouvait admettre que sa propre sœur, condamnée pour hérésie, ne porte ombrage à la légitimité de sa dynastie. Il fallait, de plus, admettre la tromperie politique de « l’opération Bergère » (voir notre article sur le site) et la complicité de l’Eglise et de la Monarchie Anglaise dans cette affaire (les intérêts de la dynastie Anglaise et Française se confondent dans cette affaire comme nous l’expliquerons).

La très puissante Université de Paris s’était ralliée à Charles VII  le Victorieux  en 1436, quand celui-ci avait repris Paris. En échange, elle avait obtenu l’amnistie générale et la conservation de ses privilèges, y compris matériels. Et le nouvel, évêque protecteur et conservateur de ses privilèges, qu’elle se choisit aussitôt fut Jean Jouvenel des Ursins, le célèbre collaborateur précité du roi ! L’Université de Paris ne s’opposera donc pas à l’ouverture du procès de réhabilitation, comme nous aurions pu le penser.

La lettre de Jean Bréhal datée 31 décembre 1452 atteste que le procès de réhabilitation n’est pas exécuté dans l’intérêt de la Pucelle mais dans l’intérêt du roi ( cf. le livre de Pierre de Sermoise page 277 ). En conséquence, il faut taire la véritable identité de Jeanne en restant sur la fameuse notion d’état-civil dite de la « Pucelle ». Mais il reste à créer un état-civil réel à la Pucelle, ce qui arrange toutes les parties, comme nous le verrons par la suite. Jeanne la Pucelle n’est pas un état-civil. Les parents nourriciers de Jeanne, les du Lys, de la famille des chevaliers d’Arc, vont devenir ses parents adoptifs.

Le pape Nicolas V

Cela étant, le Pape Nicolas V est un adversaire irréductible de la révision du procès de Jeanne. Ses réticences sont compréhensibles, quand on sait qu’il lui faut désavouer les nombreux dignitaires de l’Eglise, docteurs et théologiens qui ont condamné Jeanne.
Le pape est le défenseur de l’Institution et la versatilité des clercs dans les procédures successives ne plaide pas en faveur d’une révision. De plus, la révision d’une procédure Inquisitoriale n’est pas un acte canonique codifié par l’Eglise. Les raisons de ce pape s’appuient sur les pratiques de l’Inquisition.
Loin de la légende d’une procédure arbitraire méprisant les droits les plus élémentaires des accusés, la procédure d’inquisition répondait à une logique, certes implacable, mais reposant aussi sur des bases juridiques et canoniques solides, codifiées par des bulles pontificales et des décisions conciliaires offrant aux accusés de réelles garanties juridiques.
Ces textes très généraux concernaient toutes les procédures inquisitoriales française, espagnole ou portugaise, tout en laissant « une grande place à l’interprétation quant à leur application concrète ». On a pu constater des particularités dans l’application des procédures à l’endroit de la Pucelle.
Des ouvrages de pratique inquisitoriale rédigés par des Inquisiteurs dans un souci de coordination ont été rédigés. Le premier manuel du genre, Practica Inquisitionis heretice pravitatis, est ainsi rédigé en 1324 par Bernard Gui, Inquisiteur de Toulouse de 1307 à 1324.
En 1376, le dominicain Nicolas Eymerich, Inquisiteur général de Catalogne, offre également un aperçu détaillé de la procédure inquisitoriale et influence peut-être, les juges de la Pucelle (cf. N. Eymerich, Directorium inquisitorum, ouvrage rédigé à Avignon vers 1376 et imprimé à Rome en 1503).

Le 24 mars 1455 Nicolas V n’est plus et l'enquête officielle s'est ouverte le 2 mai 1452 à Rouen, avec le concours de Jean Bréhal, Inquisiteur de France. A partir du 22 mai 1452, Bréhal, se trouve officiellement chargé du dossier.
Le pape a ordonné à Thomas Basin, évêque de Lisieux et conseiller de Charles VII ( Premier évêque normand à se rallier à Charles VII, qui prononça la harangue de bienvenue au roi à son entrée solennelle à Rouen et fut nommé conseiller du roi ).
Thomas Bassin a été chargé d'étudier en profondeur les actes du procès de Jeanne d'Arc. Son mémoire rédigé en 1453 en faveur de la réhabilitation de Jeanne d'Arc ( Opinio et consilium super processu et condemnatione Johanne, dicte Puelle ), est la condition juridique du procès de réhabilitation. Il participa lui-même au procès de réhabilitation en 1455 et 1456.
Thomas Basin est consulté par Jean Bréhal, comme d’autres juristes et théologiens de France, et d'Europe.
Jean Bréhal rédigea deux ouvrages dont le Summarium, qui fut étudié par diverses autorités ecclésiastiques durant les années 1453 – 1454, et obtint du nouveau pape Calixte III (1455-1458 ) un acte administratif, dit rescrit, daté du 11 juin 1455, ordonnant l'ouverture d'un nouveau procès.

Le pape Calixte III

Cette nouvelle procédure est supervisée au nom du pape par trois commissaires et l’Inquisiteur : l'archevêque de Reims Jean Juvénal des Ursins, l’évêque de Paris Guillaume Chartier, l'évêque de Coutances Richard Olivier de Longueuil et l’Inquisiteur Jean Bréhal. Nous verrons que Calixte III ne donne rien sans rien, car ses intérêts seront défendus en France, comme nous le verrons.
Les trois commissaires sont des obligés du roi, et les quatre des obligés du Pape, car ce sont des dignitaires de l’Eglise :

⦁ L’archevêque Jean Juvénal des Ursins, ancien avocat et chapelain du roi, à l'évêché de Beauvais, succède à l'évêque Pierre Cauchon, en 1432, en 1444, il est nommé évêque de Laon, en 1449, il remplace son frère Jacques archevêque de Reims. Il se distingue dans les procès de Jacques Cœur (1451-1453) et de Jean II d'Alençon (1458).

⦁ L’évêque Guillaume Chartier frère d'Alain Chartier fidèle du roi, évêque de Paris le 4 décembre 1447, ambassadeur de France au concile de Mantoue.

⦁ L’évêque de Coutances Richard Olivier de Longueuil est chef du Conseil royal du roi Charles VII. Le pape Calixte III le nomme cardinal le 17 décembre 1456, sur demande du roi de France.

⦁ Jean Bréhal, Dominicain, docteur de la Sorbonne, Grand Inquisiteur de France, prieur du couvent Saint Jacques à Paris.

Une proclamation est affichée aux portes de la cathédrale de Paris et d’autres églises du Royaume, annonçant l’ouverture d’un procès en révision pour le 7 novembre 1455.
Les audiences du procès en nullité de la condamnation de Jeanne d'Arc se tinrent pour l'essentiel à l'archevêché de Rouen, dirigé par Guillaume d'Estouteville, à partir de novembre 1455, pour aboutir, le 7 juillet 1456, à la cassation du jugement de mai 1431.
Le jugement, prononcé le 7 juillet 1456, déclare le premier procès et ses conclusions « nuls, non avenus, sans valeur ni effet ! ». Celui-ci aboutit à casser le premier jugement pour «  corruption, dol, calomnie, fraude et malice ».

Calixte III est élu pape en avril 1455 et signe le rescrit pontifical en juin, en opérant la substitution de patronyme de Jeanne.
De Jeanne la Pucelle elle devient Jeanne d’Arc.
La Pucelle est pour la première fois dans l’histoire, désignée sous le nom de Jeanne d’Arc. Jeanne d’Orléans est devenue Jeanne d’Arc. Sous sa nouvelle identité la Pucelle n’a pas néanmoins d’acte de naissance officiel et d’ordre public ! Il faudra attendre le décret pontifical du 06 janvier 1904, promulgué lors de la séance solennelle sur la future sanctification de Jeanne, par le Pape Pie X, pour que l’Eglise lui donne une date de naissance, c’est le 06 janvier 1409. Cette date correspond à une naissance en fin d’année 1408 en calendrier Julien.
Cette observation nous ramène à la naissance de l’enfant adultérin de la reine de France Isabeau le 10 novembre 1407 (en Julien), à un an près. L’Institution qui est la mieux renseignée sur la date de naissance de la Pucelle écarte la date de 1412, reprise en cœur par tous nos historiens catholiques !
On demande encore un petit effort à l’Eglise ?

Il n’existe pas de minute française des témoignages et pièces soumises aux juges de la nullité, seul fait foi le texte latin des notaires Ferrebouc et Le Comte. Trois exemplaires officiels des procédures furent exécutés, comme l’indique les deux clercs précités dans la préface des exemplaires.

Le 7 novembre 1455 la cérémonie inaugurale est organisée à Notre-Dame de Paris. Au milieu d’un grand brouhaha, rapportent les chroniqueurs de l’époque, et en présence de la famille nourricière, qui devient une famille adoptive ! Lecture est donnée de la requête puis du rescrit.
Tous les membres de la famille adoptive ne furent pas admis à témoigner. La mère, en particulier, ne devait pas avoir à répondre aux questions sur la naissance de la Pucelle, bien évidemment.
Jean du Lys, le frère de lait de la Pucelle, prévôt civil au diocèse de Toul, fut chargé de recueillir les dépositions des témoins de sa région. Curieuses méthodes procédurales qui évincent les principaux témoins et emploient l’un deux pour recueillir d’autres témoignages, sans contrôle judiciaire !
Les magistrats prétendaient que la dévotion et l’enthousiasme de la foule gênaient le calme de leurs délibérations. Le procès eut donc lieu à huis clos.
Cent quinze témoins sont interrogés et protégés par des lettres d’abolition du roi Charles, ce que l’on peut représenter de nos jours comme étant une amnistie générale. Le pouvoir est rassurant, mais les questionnaires sont précis, comme dans tous les procès politiques.

La présomption d’innocence s’exerçait donc au seul bénéfice des juges de Jeanne ! A aucun moment, les juges précédents du procès de 1431 ne devaient être et ne furent inquiétés par les juges de la révision !  L’Eglise ne pouvait pas accuser ses propres prélats responsables du jugement de 1431 ! La procédure n’est pas non plus contradictoire !
Les témoins doivent prêter le serment habituel, auquel on ajouta pour la circonstance un serment spécial, assorti de menaces solennelles, à l’encontre de ceux qui se permettraient de remettre en cause l’autorité du tribunal.

Dans les circonstances dans lesquelles se déroule le procès on n’imagine pas les chroniqueurs s’immiscer dans les audiences pour interroger les juges. On n’imagine pas non plus les chroniqueurs prendre sans doute les risques du duc d’Alençon, comme nous le verrons. Les menaces qui pèsent sur les témoins sont lourdes malgré les lettres d’abolition du roi.

Les documents du procès de réhabilitation n’arrivèrent à Rome que dix-neuf ans plus tard en 1475. Les chroniqueurs sont ainsi, nous devons le constater, tenus dans l’ignorance la plus totale, en ce qui concerne les éléments de cette procédure, car les pièces des procès ne sont pas dans le domaine public.
Les chroniqueurs ne font donc pas état, en conséquence, des résultats des enquêtes pour fixer la date de naissance de la Pucelle. Les témoignages d’Hauviette de Syna et de Simon Musnier, qui sont les éléments essentiels de ce procès, sont ignorés par les chroniqueurs.

Le procès en canonisation de 1910 à 1920 :

Pourquoi citer ici le procès en canonisation de la Pucelle ? C’est pour montrer qu’en matière de procédure les mœurs de l’Eglise moderne sont les mêmes que ceux qui étaient les siens au Moyen-Age ! Pas d’anticléricalisme de notre part, mais un simple constat d’historien.
Le décret pontifical du 06 janvier 1904 donne la naissance de Jeanne au 06 janvier 1409. Cette date nous amène à la fin de l’année 1408 en calendrier Julien. Cette date est contradictoire par rapport par rapport aux données du procès de 1428 de Toul, des éléments du procès de Rouen, des témoignages du procès de réhabilitation. C’est pourquoi l’origine de cette date est une question que l’on pose toujours en vain à l’Eglise, qui est la seule institution qui détient dans ses archives les preuves de la date de naissance de la Pucelle.
Nous ajoutons pour notre part que le décret pontifical du 06 janvier 1904, promulgué lors de la séance solennelle sur la future sanctification de Jeanne par le Pape Pie X, atteste la naissance de Jeanne au 06 janvier 1409. Cette date est produite sans aucune référence. Cela étant, le 6 janvier 1409 ( calendrier Grégorien ) équivaut en fait au 6 janvier 1408 (calendrier Julien), l’année 1409 ne commençant qu’à Pâques, soit le 26 mars, en calendrier Julien. On n’est pas loin du 10 novembre 1407 en calendrier Julien, qui est la date la plus probable de la naissance de la Pucelle.
Il est bien évident que si l’Eglise reconnait une naissance le 6 janvier 1409/1408 ( différence des calendriers ) les doutes sont possibles sur l’identité réelle de la Pucelle. L’Eglise écarte l’année de 1407, qui aurait pu éveiller des doutes chez les observateurs attentifs.
Sans plus d’informations issues des archives épiscopales et vaticanes pour corroborer nos affirmations, nous restons attachés à notre système de preuves et de présomptions. Nos réflexions historiques nous portent à considérer que l’Eglise a canonisé Jeanne d’Orléans, fille du duc Louis d’Orléans et de la reine Isabau de Bavière, née le 10 novembre 1407, sous le nom d’emprunt de Jeanne la Pucelle d’abord et ensuite Jeanne d’Arc.
C’est le pape Calixte III, qui signe le rescrit pontifical de juin 1455, qui opère la substitution de patronyme de notre héroïne. Jeanne la Pucelle est pour la première fois dans l’histoire, désignée sous le nom de Jeanne d’Arc.

La date du 6 janvier 1409 est transmise par l’Eglise, sans aucune explication et aucune référence concrète.
Le 6 janvier représente pour nous une date fantaisiste, comme nous le verrons, et nous sommes surpris que l’Eglise la reprenne. L’année 1409 est hors de portée de notre fourchette de dates acceptables, compte tenu des données historiques dont nous disposons.
Même encore aujourd’hui, les textes des procédures vaticanes de canonisation n’ont jamais été communiqués au public ! Pas d’explication sur le transfert d’identité à laquelle Jeanne est sujette. Rien sur l’attitude de L’Eglise, qui ne nous explique toujours pas pourquoi, par ailleurs, une jeune femme déclarée hérétique par un tribunal ecclésiastique se retrouve canonisée ensuite !
Nous remarquons qu’il est très curieux que nos historiens de l’histoire « officielle » ne respectent pas les affirmations de l’Eglise, qui est sans doute la mieux renseignée sur la date de naissance de la Pucelle.
Nous sommes très loin de l’année 1412 toujours prônée par de nombreux catholiques peu sourcilleux, eux aussi, de respecter le décret pontifical.
Georges Duby se prononce ainsi sur la procédure : « On aimerait en consulter le dossier, voir par quel subtil artifice fut encore amoindrie, afin qu’elle s’ajustât à l’image de la sainteté que l’on se faisait alors dans l’Eglise catholique et romaine, la figure de cette chrétienne qui ne s’inclinait point devant les prêtres ».
Nous ne faisons pas ici d’anticléricalisme, car si l’Eglise ne facilite pas la tâche de l’historien, pour l’instant, il nous semble que la transparence et l’ouverture des archives vaticanes ne peut pas nuire à l’Institution, bien au contraire. Dans l’histoire de la Pucelle, et dans l’histoire de France en général, certains ne se sont pas privés de critiquer les agissements de clercs, sans que l’Institution en pâtisse.

7) La critique des sources de l’historiographie « officielle » :

Nous examinerons les témoignages qui nous permettront de passer en revue de nombreuses sources à notre disposition et d’évaluer les propositions des partisans de la bergère ( le terme n’est pas moqueur pour la Pucelle mais pour ceux qui la présentent ainsi ! ).
Nous serons là dans la compilation des témoignages et auteurs de chroniques. Il faut montrer et évaluer toutes les opinions pour ne pas suivre l’exemple de nos détracteurs.
Quicherat est le premier historien rassemblant au milieu du XIXe siècle une historiographie johannique, cependant que nombre d’écrits avaient été produits depuis le XVe siècle.
« Lorsque je publiai à la suite des procès de Jeanne d’Arc le recueil des témoignages rendus sur elle au XVe siècle », écrit Jules Quicherat, « j’espérais que le temps amènerait la découverte de documents nouveaux et que l’on arriverait à combler en partie, sinon en totalité, les lacunes que présentait encore cette merveilleuse histoire, ajoutant que malgré l’intérêt toujours croissant qui s’est attaché au personnage et l’éveil donné à tous ceux qui compulsent les archives et les manuscrits, malgré tant de recherches accomplies de tous côtés pour l’avancement de l’histoire du Moyen Age, ce qui s’est produit sur la Pucelle depuis le milieu du XIXe siècle se borne à trois ou quatre indications de valeur ». Quicherat reconnait les lacunes que comportait l’histoire de la Pucelle en 1849, qui ont été comblées par les synthèses des historiens modernes que nous honorons dans notre bibliographie de référence, ce qui est honnête de sa part. Les historiens de l’histoire « officielle », ses successeurs, eux, n’ont pas progressé depuis malheureusement, mais continuent de produire pléthore de livres, tous plus entendus les uns que les autres.
Nous allons mener nos investigations dans des sources qui sont reconnues par tous les historiens de l’histoire « officielle ». Nous ferons une lecture plus précise, que celle que font ceux qui racontent l’histoire, dans l’analyse des textes.

Nous présentons d’abord le seul texte qui existe sur le jour de la naissance de la Pucelle et ensuite les témoignages ou écrits, qui concernent son année de naissance, que nous avons recensés. Nous pourrons examiner ainsi, en particulier, la crédibilité de la date de 1412.

Le jour de naissance de la Pucelle :

Il n’existe qu’un seul texte mentionnant le jour de la naissance de la Pucelle. C’est une lettre en latin, adressée le 21 juin 1429 au duc de Milan, Jehan Ange, Marie Visconti, par Perceval de Boulainvilliers, chevalier, conseiller et chambellan de Charles VII, sénéchal du Berry.
Une première constatation : Le duc Jehan Ange qui est mort en 1412 ne pouvait recevoir une lettre envoyée en 1429 ! C’est Philippe Marie Visconti qui est duc de Milan depuis 1420. On voit tout de suite que l’authenticité du document peut être mise en doute.
D’après cette lettre Jeanne serait née le jour de l’Epiphanie, c’est-à-dire le 6 janvier. ( Lire la lettre de Perceval )
L’auteur est marié à la fille de Perceval de Gournay, gouverneur d'Asti pour le duc d'Orléans, ce qui explique les liens qu'il entretenait avec la famille Visconti. On conserve de lui une lettre à l'historicité contestée, où il rapporte tout ce qui se disait de Jeanne d'Arc au tout début de la campagne du sacre de Charles VII. Cette lettre fut plus tard mise en vers par Antoine Astesan. C'est dans cette missive que se trouve le jour et le mois de naissance mythifiée de Jeanne d'Arc le jour de l'Épiphanie.
Il est évident que cette lettre participe au climat légendaire qui se forma autour de Jeanne dès sa venue en France. L’allégresse inconsciente des villageois, la frénésie des gallinacés, la contrition des loups, et l’immunité familiale, évoquées par son rédacteur, s’apparentent directement aux troubles sismiques et météorologiques qui, suivant un poème latin anonyme du temps, annoncèrent la venue au monde de Jeanne, ainsi qu’aux « hommes armés de toutes pièces » chevauchant au travers du ciel breton, signalés par une lettre écrite vers le 25 juin 1429, quatre jours après celle de Perceval lui-même. On sort manifestement de l’histoire pour entrer dans le conte de fées, et une critique objective ne peut retenir une indication chronologique isolée au milieu de propos fabuleux.
La Pucelle n’a jamais fait allusion au jour de sa naissance. Or, il n’est pas excessif de penser, que si ce dernier avait réellement coïncidé avec une fête religieuse aussi importante que celle de l’Epiphanie, où l’on célèbre la divinité du Christ révélée aux hommes par l’adoration des rois mages, son baptême et le miracle des noces de Cana, Jeanne n’eut pas manqué de le dire à ses juges afin de fournir un nouvel et puissant motif de créance en sa mission.
Par conséquent, lorsque les historiens Petit-Dutaillis et Lefèvre-Pontalis qualifient cette date du 6 janvier de « plus que douteuse » et de toute « hypothétique », ils ne font qu’exprimer le seul avis raisonnable auquel il soit possible de se rallier.
Cette lettre de Perceval de Boulainvilliers n’est pas un document historique que l’on peut admettre en tant que tel (voir l’article " De la naissance de Jeanne " sur notre site).

L’année de naissance de la Pucelle :

Sur les témoignages ou écrits recensés dans l’œuvre de Quicherat, il convient d’en éliminer trois qui ne sont pas crédibles, d’après nous, pour fixer la date de naissance de la Pucelle. Il s’agit de la Chronique de Lorraine, du journal d’un bourgeois de Paris, et des écrits de Lorenzon Buonincontro.
Nous ajouterons les témoignages de Béroalde de Verville, de Philippe de Bergame, de Giovanni Sabadino Degli Arienti et celui de Paolo Coimi dit Paolo Emili ou Emilio, appelé en France Paul Émile, qui sont dignes de considération. Ces derniers sont très pertinents et nous considérons qu’il est très étonnant que Quicherat n’en tienne pas compte.
Les témoignages de Monstrelet, de Chartrier, de Cousinot, de Lefèvre de Saint-Rémy, de Wavrin du Forestel, sont très intéressants comme nous le verrons.
Les témoignages des contemporains sont, en fait, pour la plupart, des chroniques médiévales qui se révèlent souvent imprécises, sans citer leurs sources. Pour Jeanne d'Arc, les dates de naissance données par les chroniqueurs s'échelonnent entre 1399 et 1417. Cela veut dire que les chroniqueurs sont incapables de sortir une date certaine. Une étude précise nous permet souvent de retrouver une date d’une façon indirecte ou par déduction. Nous allons regarder dans le détail et procéder par élimination, en fonction des éléments historiques précédemment remarqués par Jean Bancal.
Les trois témoignages que nous réfutons, sont les suivants :

- La chronique de Lorraine rédigée entre 1484 et 1489 selon Emile Duvernoy et qui d’après Quicherat « ne mérite pas d’être consultée comme témoignage sur Jeanne d’Arc ». Dom Calmet a le premier publié cette chronique parmi ses preuves à l’Histoire de Lorraine (t. III, col. vj). Il conjecture qu'elle fut composée par un serviteur du duc René II, acteur dans plusieurs des évènements qu'il relate. Ce personnage anonyme, aurait écrit, au jugement du savant bénédictin, en 1475, pendant la guerre de Charles le Téméraire contre René, ce qui est impossible. On trouvera la preuve à la fin du fragment publié ci-après où il est dit que Charles VII eut des fils et des filles de « quoy le dernier roy Loys en estoit ung ». Nous sommes en fait sous le règne de Charles VIII.
La Chronique de Lorraine ne mérite pas d'être consultée comme témoignage historique sur Jeanne d'Arc ; c’est l’opinion générale. Mais elle est un curieux et unique monument du merveilleux que l'imagination populaire avait ajouté à la vie de la Pucelle, dans sa région aux portes de la Lorraine. Tous les exploits du règne de Charles VII y sont mis sur son compte…
La chronique de Lorraine fait naître la Pucelle en 1399 en lui donnant 18 ans en 1417 ! Mais si au lieu de de dix-sept, on lit vingt-sept, la naissance est donc plutôt à fixer pour cet auteur vers 1409. Nous ne retiendrons pas ce témoignage car il s’agit manifestement d’une indication erronée peu crédible, en regard de la fourchette de date que nous pourrions accepter, même avec modification du texte.

- Le Journal d’un bourgeois de Paris, qui bien que contemporain, a été écrit au cours des hostilités, dans le camp adverse et, en ce qui concerne Jeanne, en suivant tous les commérages hostiles aux Armagnacs. C’est une chronique de la vie parisienne sous Charles VI et Charles VII par un prétendu bourgeois qui fait part de ses réactions devant les événements politiques. Ce texte a été écrit entre 1405 et 1449 et est très probablement l'œuvre d'un chanoine de Notre Dame. Il nous offre un témoignage sur la ville de Paris au XVe siècle. Ce livre n'est pas un journal à proprement parlé car, plus que des notes écrites au quotidien, on constate une composition globale.
Cette œuvre nous présente à la fois des événements historiques, politiques, religieux : les conséquences de la guerre contre les Anglais, le procès de Jeanne d'Arc mais aussi le climat à l'époque, le nombre de morts dans diverses épidémies, les spectacles de rues, les obsèques royales...
L'Histoire et les anecdotes se mêlent. On y découvre la capitale soumise successivement aux Bourguignons et aux Armagnacs. L'auteur penche notamment pour le parti du duc de Bourgogne et n'hésite pas à recouvrir de son silence les événements qui portent préjudice à son camp, comme l'assassinat de Louis d'Orléans ou les défaites anglaises. Mais le témoignage évoque de façon vivante, quoique subjective, les différentes étapes de la lutte sans merci que se livrent les deux camps, de 1407 à 1435. Ces récits sont trop partiaux hostiles aux Armagnacs. Le journal d’un bourgeois de Paris fait naître la Pucelle vers 1403 car il affirme que cette dernière avait 27 ans lors de son procès ! Cette donnée est fort peu probable compte tenu des autres témoignages en notre possession qui placent cette date en dehors du champ des données acceptables.

- Les considérations de Lorenzo Buonincontro parues en 1454. Lorenzo Buonincontro, né à San Miniato en Toscane, en 1410, fut d'abord soldat sous François Sforza. A la suite d'une grave blessure reçue en 1436, il s'adonna à l'astrologie, s'occupa de poésie et d'histoire, et à ces titres fut en faveur auprès de Ferdinand, roi de Naples (Alphonse Ier, selon Quicherat). Ces détails biographiques sont tirés du XXIe volume des Scriptores rerum Italicarum de Muratori. Buonincontro avait publié, en 1458, les annales de sa ville natale sous le titre de De ortu regum Neapolitanorum et rerum undique gestarum. Le manuscrit était la possession d'un descendant de l'analyste, doyen de San Miniato, du nom de Bonaparte, qui l'offrit au grand érudit italien. Celui-ci supprima tout ce qui était antérieur à 1360, et fit imprimer l'ouvrage sous le titre d'Annales Sanminiatenses, compte tenu du fait que San Miniato était la patrie de l'auteur.
Buonincontro ne parle de la Pucelle qu’incidemment et la fait naître en 1415 ! Pas possible. Cela étant dit Buonicontro donne à Jeanne le titre de Princesse et, là on est obligé de constater que nombreux sont d’accord avec lui ! Cet auteur nous donne une date qui ne peut être retenue, compte tenu des éléments précis à fort potentiel historique que nous détenons. Cependant, s’il reconnait que Jeanne est une princesse c’est qu’il est renseigné.
Comment ce renseignement lui vient ? Et pour être une princesse Jeanne est forcément née de parents qui sont des princes, comme nous le suggérions précédemment dans les enjeux de la date de naissance de la Pucelle. Nous verrons que tous les Italiens sont renseignés parce qu’ils sont précis et que les éléments qu’ils fournissent sont crédibles en terme de date.

Nous passons maintenant aux témoignages et chroniques. Nous reprendrons ceux cités par Quicherat, bien évidemment. Les auteurs que nous signalons ne citent pas leurs sources et, les chroniques, en particulier, sont plus un rapport journalistique qu’un calendrier des évènements. C’est donc à nous de tenter de détecter l’origine des renseignements qui nous sont parvenus et la fiabilité de leurs auteurs.

Chroniques et témoignages :

- Les témoignages oraux retranscrits de la Pucelle à son procès : On peut se reporter aux dires de Jean Bancal, cités précédemment, pour déterminer l’année de naissance de la Pucelle à partir de ses déclarations lors de son procès.

- Le témoignage oral retranscrit d’Hauviette de Syna au procès de réhabilitation est précieux car il est émis par une personne très proche de la Pucelle, sinon la plus proche dans sa vie d’adolescente. On peut se reporter de même aux considérations précitées de Jean Bancal sur ce témoignage. Ce dernier est corroboré par celui de Simon Musnier.

- Le témoignage oral d’Isabelle (Zabillet) Girardin indique qu’elle avait cinquante ans en 1456. Jeanne était marraine du fils d’Isabelle Nicolas. On peut déduire du témoignage de ce témoin que Jeanne avait à peu près le même âge qu’elle. Nous serions sur une date entre 1406 et 1407, excluant la date de 1412 trop lointaine. Ce témoignage est d’une importance capitale car il s’agit d’une proche de la Pucelle et il est précieux dans le sens où il enlève toute l’importance que l’on pouvait afficher sur des dates postérieures à 1407.

- Le témoignage littéraire de Béroalde de Verville, de son vrai nom François Brouard, né le 15 avril 1556 à Paris et mort en octobre 1626 à Tours. Ecrivain français, auteur de La Pucelle d’Orléans en 1599.
François Béroalde de Verville était le fils de Mathieu Brouard, dit Béroalde, théologien et écrivain français, et de Marie Bletz, la nièce du théologien François Vatable. Son père avait embrassé le calvinisme. Son enfance se déroule sans faits notables jusqu'en 1562 où, alors que la famille fuit les massacres religieux de Paris, sa mère meurt de la peste. La famille reste en France jusqu'à la Saint Barthélemy, en 1573, avant de fuir pour Genève. Là, Mathieu Béroalde, devenu ministre de l'Évangile, tient une pension où il dispense une éducation à la fois religieuse et humaniste, avec notamment pour élèves Pierre de L'Estoile et Agrippa d’Aubigné. Ce milieu sera très favorable à l'éveil culturel de François Béroalde, qui part ensuite à Bâle où il apprend l’horlogerie et l’orfèvrerie. Il étudie ensuite la médecine, et on suppose que c'est également à cette période de sa vie qu'il s'initie à l'alchimie.

Béroalde de Verville

En 1589, il suit Henri III, chassé par la Ligue, dans son exil à Tours. N'ayant plus de mécènes il survit en traduisant des ouvrages dont La Constance de Juste Lipse et une partie de La Diane de Montemayor. Sa fidélité au roi lui vaut le titre de chanoine de la cathédrale Saint-Gatien le 5 novembre 1595. Sa sécurité financière étant assurée, il va commencer à produire la majorité de son œuvre. En 1600, il écrit la Serodokimasie, à la demande du roi Henri IV, et devient très proche du cercle des médecins paracelsiens qui l'entourent.
Béroalde raconte dans son livre sur la Pucelle qu’on entendit, à Chinon, en mars 1428, lors de sa réception, Jeanne répondre au roi, qui le lui demandait, que son âge se comptait par sept : Sire, dit-elle au roi, il faut que les troupes que vous me confierez soient prêtes dans sept jours. Pourquoi sept jours demanda le roi ? Sire, ce n’est point sans mystère que je m’arrête à ce nombre. Vous êtes le septième Charles, cette année est la septième de votre règne, mon âge se compte par sept, et j’espère dans sept mois avoir donné tant de preuves de courage, qu’avant sept années la France sera remontée au degré de splendeur qu’elle a perdu.

L'ouvrage de Béroalde de Verville

On peut donc penser que deux fois sept font 14 ans ou bien que trois fois sept font 21 ans pour la Pucelle, ce qui, dans cette seconde option, donne un âge plus crédible que dans l’option précédente. Quand on indique le terme par sept on peut induire une idée de répétition, ou de multiplication. La solution qui consiste à donner une âge de 17 ans en ajoutant le chiffre 1 devant le 7 n’est pas satisfaisante car elle n’induit pas cette idée de multiplication.
Béroalde de Verville se prononce également sur la filiation de la Pucelle, qu’il présente comme la fille d’un gentilhomme français, sans le nommer, et de la reine des nymphes !
Cette reine des nymphes est une façon discrète de présenter Isabeau de Bavière, la seule à l’époque que l’on pouvait qualifier de nymphomane.
Outre le fait que cet auteur relate l’âge de la Pucelle qui se comptait par sept, à son arrivée à Chinon, il attribue à un fils de Charles d’Orléans et au bâtard de son père Dunois, un rôle imaginaire dans l’aventure de la Pucelle. Ces deux personnages seraient allés chercher Jeanne à Vaucouleurs pour la conduire à Chinon. Cette substitution de personnages dans l’escorte de la Pucelle, pour rejoindre Chinon, met cependant en relief les liens étroits entre Jeanne et la Maison d’Orléans. C’est sans doute un signe de l’auteur à son lecteur.
Béroalde de Verville ne désigne pas la Pucelle dans son livre sous le nom de Jeanne d’Arc ; cette dernière constatation confirme la cohérence des dires de cet auteur, pour qui Jeanne est la fille de la reine des nymphes ! Cette reine étant évidemment Isabeau de Bavière, épouse de du roi Charles VI.
Avec Béroalde de Verville on peut donc considérer que le dauphin est parfaitement informé de la date de naissance de la Pucelle. Le roi n’est pas étonné par l’affirmation de la Pucelle indiquant que son âge se compte par sept. Nous verrons que le sujet est sensible, et que la raison d’Etat fera, que ceux qui entourent le roi, ne veulent pas répéter ce qu’ils ont entendu ou répondent autre chose ! Voilà un témoin, non cité par Quicherat, et pour cause, qui donne la date de 1407, sans que nous puissions mettre en doute cette affirmation prononcée par un royaliste dont la fidélité est reconnue. Son adhésion au culte protestant, il est ministre de l’Evangile, ne lui causent pas de problèmes de retenue face à l’Eglise et il n’est pas fonctionnaire ou l’obligé d’un prince régnant. Nous accréditons ce témoignage qui nous donne 1407 pour date de naissance de la Pucelle.

- Le témoignage littéraire de Philippe de Bergame né en 1433 à Soldio dans le voisinage de Bergame. Dans son livre : " De plurimis claris selectisque mulieribus", imprimé en 1497 à Ferrare, et qui d’après Quicherat a " travesti l’histoire en légende ". Jacques-Philippe de Bergame, Foresti de son nom de famille, fut contemporain de Sabadino qui suit.
Jacques-Philippe de Bergame, Augustin, a consacré un article à la Pucelle, dans son livre. Homme d'un esprit inexact, et très ignorant des choses de la France, il a travesti l'histoire en légende. Le bon moine ne semble parfaitement fixé ni sur la géographie, ni sur la chronologie, et pas davantage sur l'histoire de la Pucelle. Orléans est sur le Rhône, Reims est la capitale de la France, Orléans est la ville du sacre. La Pucelle est brûlée à Reims, et le monument en mémoire de son supplice est aussi érigé à Reims. La Pucelle aurait été brûlée en 1448, après avoir combattu huit ans, de sa seizième à sa vingt-quatrième année.
Selon cet auteur Jeanne à 16 ans à son arrivée à Chinon en 1429 et 24 ans à sa mort en 1431 ! Cela fait donc naître la Pucelle à la fois en 1413 et en 1407 ! Il y a manifestement une erreur dans le récit de cet auteur. Mais si la première date citée de Philippe de Bergame est peu crédible, la seconde date donnée entre dans le champ des dates confirmées par les fortes présomptions et preuves énoncées par Jean Bancal.
L’auteur ajoute « tout ce que je rapporte vient du seigneur Guillaume Guasche, témoin fidèle, qui lui-même a vu et appris toutes ces choses lorsqu’il était à la Cour. » D’après Villaret, ce nom de Guasche (ou Gaucache) serait une déformation de Raoul de Gaucourt, homme de confiance du duc Charles d’Orléans, bailli d’Orléans et qui a combattu aux côtés de la Pucelle lors de la délivrance de la ville.
Parmi toutes ses fantaisies avec l’histoire Philippe de Bergame est quand même capable de nous donner la date de 1407, ce qui est surprenant. Il est sans doute bien renseigné, comme les autres Italiens Giovanni Sabadino Degli Arienti et Paolo Coimi (Paul Emile), que nous découvrirons dans la suite de notre récit. Voilà un auteur qui n’est pas un historien précis mais qui donne ses sources, à savoir un Guillaume Guasche ; s’agit-il de Gaucourt ? Il imprime son livre en 1497 en Italie donc il ne risque pas de représailles de la part des Français.
Nous retenons ce témoignage qui donne des indications intéressantes malgré un récit historique contradictoire sur ses données de date.

- Le témoignage littéraire de Giovanni Sabadino Degli Arienti (1445 - 1510) qui était un écrivain, un poète, un homme politique et un humaniste italien.
Il a étudié avec Manfredo Valturio à l’Université de Bologne en prenant plus tard la profession de notaire. Il a travaillé comme secrétaire pour le comte Andrea Bentivoglio. Son œuvre la plus célèbre Novelle Porretane (1483) est une collection de soixante et un contes à l'imitation du Décaméron de Boccace. Dans De Triumphis Religionis, un traité sur les vertus d'un prince, il a décrit la cour d’Hercule d'Este comme un exemple de vertu et de magnificence. Longtemps cantonné à l'obscurité par la critique de son style, Arienti a connu plus de satisfaction pour sa tentative de créer une langue vernaculaire littéraire Bolognaise.
L’auteur s’exprime sur Jeanne en ces termes : " Telle fut la cruelle fin de la belle et vaillante Pucelle, à l'âge de vingt-quatre ans, d'après ce que l'on m'a dit ". Bien des années plus tard, Charles, ayant conquis Rouen, en mémoire de l'illustre Pucelle, fit élever, sur le lieu même où elle avait été brûlée, une grande croix de bronze doré, finement travaillée. Pour le calcul nous avons : 1431 - 24 = 1407.
Giovanni Sabadino degli Arienti termine ainsi son opuscule, d’après des documents envoyés en 1431 par son compatriote Fileo Trovato.
Paul Emile qui suit, écrit page 59 de son ouvrage que Giovanni Sabadino écrivait sur des renseignements d’un compatriote qui habitait Reims.
Cet auteur n’est pas signalé par Quicherat mais nous l’intégrons dans notre article, compte tenu de la fiabilité de sa personnalité. Il fournit la date de 1407, qui est une date non seulement crédible, mais, qui corrobore les éléments en notre possession. De plus, nous avons avec ce témoignage l’évocation de la filière qui donne le renseignement.

- Le témoignage littéraire de Paolo Coimi dit Paolo Emili ou Emilio ( en latin Paulus Æmilius Veronensis, appelé en France Paul Emile ), né à Vérone vers 1451, installé en France dans les années 1480, mort à Paris le 5 mai 1529. Paul Emile est un humaniste italien, orateur et historiographe, auteur d'une histoire de France en latin rédigée suivant les normes de l'humanisme.
Paul Emile fut inhumé dans la cathédrale Notre-Dame, où sa tombe se trouve du côté nord. Il avait joui de son vivant d'un très grand prestige dans les milieux humanistes français : selon le témoignage d'Érasme, une intervention de lui donnait accès à la Cour à un écrivain. Son ouvrage fut considéré comme le premier en France relevant de l'historiographie de l'époque moderne : esprit critique, discussion de sources, sens du vraisemblable, grande réserve vis-à-vis des légendes traditionnelles ou du merveilleux. Voilà un personnage qui donne confiance à l’historien.
L’auteur de De rebus gestis Francorum paru en 1539 parle de Jeanne comme d’une jeune fille issue de la frontière de Lorraine âgée de vingt-deux ans environ (page 57). Cet auteur fixe donc la naissance de la Pucelle en 1407. L’arrivée de Jeanne à Chinon est le 25 février 1429, donc 1429 – 22 = 1407. Voici un italien installé à Paris bien renseigné qui donne la date que nous considérons comme la plus plausible.
Cet auteur n’est pas cité par Quicherat et on peut le regretter encore ! La date donnée par Paul Emile est évidemment crédible pour nous aussi. La qualité de probité de l’auteur donne à son témoignage une valeur certaine. Il est quand même très étonnant que les historiens modernes ne retiennent pas un témoignage de cette qualité. C’est en éliminant des témoignages de cette nature que l’on fabrique une histoire plutôt que d’essayer de la reconstituer !
Nous retenons ce témoignage qui est renforcé par la qualité de son auteur.

L’année 1407 est l’année exacte de la naissance de la Pucelle, si on reprend toutes les présomptions et preuves énoncées par Jean Bancal, en corrélation avec les écrits de Villaret, précédemment mentionnés, qui donne précisément le 10 novembre 1407 (calendrier Julien). Cette date correspond à une fourchette de dates déterminée par les éléments issus de la recherche historique.
Nous remarquons également que les trois Italiens Paolo Coimi (Paul Emile), Sabatino Degli Arienti et Philippe de Bergame donnent 1407. Ces derniers, qui donnent la date significative de 1407, se fournissent sans doute aussi auprès d’un personnage haut placé, dans le secret des familles régnantes d’Italie. Pour quelle raison ?
Nous ne devons pas oublier que le la fille du duc de Milan Valentine Visconti, héritière d'Asti, (1368-1408), a été mariée en 1389 à Louis (1372-1407), duc d'Orléans, le père de la Pucelle. Isabelle de France (1348-1372) avait épousé, en juin 1360, Jean Galéas Visconti (1351-1402), futur duc de Milan. Les familles des ducs d’Orléans et celle des ducs de Milan sont étroitement liées et il se peut que les Italiens précités, qualifiés de renseignés, le soit par la famille Visconti de Milan.
Deux lettres montrent cette relation entre la famille de France et celle de Milan. La première est celle de Perceval de Boulainvilliers, conseiller et chambellan de Charles VII, qui écrit à Ange-Marie Visconti, duc de Milan, la fameuse lettre précitée, ce qui suffit à montrer que des informations sont échangées entre les Valois et les Visconti. Nous comprenons bien la polémique justifiée sur cette lettre, mais nous voulons simplement signaler au lecteur qu’il s’agit simplement de l’évocation d’une relation entre un conseiller du roi français et un Visconti, sans vouloir préjuger de l’authenticité de cette missive.
Une autre lettre, qui ne souffre pas la contestation, est celle envoyée le 13 janvier 1479, par l’ambassadeur de Milan Jean Andréa Cagnola à la duchesse de Milan ; cette lettre relate une confidence faite à l’ambassadeur par Louis XI : Je ne sais pas du tout de quel homme je descends, vu que l’épouse de Charles VI, la reine Isabeau, a été « una granda putana » cf. Maurice Heim – Charles VI le fol – Gallimard – Paris – 1955 – page 152 (Archives de Milan – Sforzesco Francia, carton 544)

- La chronique de Monstrelet : Enguerrand de Monstrelet, historien contemporain de la Pucelle, serviteur de la maison de Luxembourg. Ce chroniqueur est réputé sincère, encore que suspect de partialité à l’égard de Jeanne. Il est né vers 1390, mort le 15 juillet 1453.

Enguerrand de Monstrelet

On ne sait presque rien sur lui. Appartenant à une famille seigneuriale, peut-être d'abord capitaine d'un château en Ponthieu, Bailli du chapitre de l'église de Cambrai de 1436 à 1440, puis Prévôt de cette ville de 1444 à 1446 et Bailli de Walincourt de 1444 à sa mort. Il a écrit en français, pour continuer Froissart, une chronique qui s'étend de 1400 à 1444 en deux livres. Quelques manuscrits renferment un troisième livre, de 1444 à 1467, qui est de Mathieu d'Escouchy. Cette chronique est précieuse pour l'histoire de la France, de l'Angleterre et de la Flandre, et c’est une source importante pour la première moitié du XVe siècle. Cette chronique abonde en renseignements et en documents qu'elle reproduit. Monstrelet passe pour avoir écrit son histoire pour la maison de Luxembourg, car il est suspect de partialité à l'égard des comtes de Saint-Pol et des ducs de Bourgogne ; il n'a aucun talent de composition, mais il est le plus généralement exact et consciencieux selon certains.
La chronique de Monstrelet est divisée en deux livres, qui s'étend de 1400 à 1444 et dont subsistent deux versions transmises par les copistes (en picard et en français de l'Ile-de-France). La première édition de la Chronique date des commencements de l'imprimerie. Une autre plus récente est celle de Douët d'Arcq (Paris, 1857-62, 6 vol. in-8).

Extrait de l'ouvrage de Monstrelet.

Monstrelet n’apporte pas sa caution à l’année 1412 ce qui constitue une indication non dénuée de valeur s’agissant d’un contemporain de la Pucelle. Cependant Monstrelet ne donne pas ses sources et n’argumente pas sur la date de naissance de la Pucelle.
Monstrelet a été Prévôt de Cambrai puis Bailli de Walincourt ce qui en fait un administrateur public important. Un prévôt est un fonctionnaire pouvant occuper plusieurs rôles. En France le royaume a été divisé en prévôtés au XIe siècle. Le prévôt pouvait être un agent domanial du roi qui s'occupait des finances, de la justice, de l'administration et de l'ordre public sur une zone géographique. Le prévôt était surtout un officier de justice subalterne qui jugeait notamment en appel les jugements civils seigneuriaux.
Le bailli était, dans l'Ancien Régime français, un officier de judicature représentant de l'autorité du roi ou du prince dans le bailliage, chargé de faire appliquer la justice et de contrôler l'administration en son nom. Il s'agissait de l'équivalent de nos actuels préfets. Il en va de même sous domination bourguignonne.
L’auteur écrit :
« En l’an dessus dit vingt devers le Roi Charles de France à Chinon, où il se tenant grand partie du temps, une pucelle, jeune fille âgée de 20 ans ou environ, nommée Jehanne, laquelle était vêtue et habillée en guise d’homme et était née des parties entre Bourgogne et Lorraine d’une ville nommée Dom Rémy près Vaucouleurs. Laquelle Jehanne fut grand temps meschine en une hostellerie et était hardie de chevaucher chevaux et les mener boire et aussi de faire appertises et autres habiletés que jeunes filles n’ont pas accoutume de faire. »
Monstrelet a repris la thèse bourguignonne en donnant à Jeanne un rôle de servante dans l’auberge de La Rousse à Neufchâteau, mais ce ne fut pas « grand temps » mais uniquement quinze jours !
Ce chroniqueur fixe l’âge de la jeune fille en 1428 à vingt ans environ, donc situe sa date de naissance entre septembre 1407 et septembre 1408. Septembre 1408 est une date éloignée par rapport aux éléments historiques précités en notre possession. Mais une naissance à partir de septembre 1407 représente à contrario un élément à très forte crédibilité historique.
Certains diront que les Bourguignons avaient intérêt à vieillir la Pucelle pour justifier la légalité du procès de Rouen et rendre l’accusée majeure. Ce dernier argument est un calcul qui ne repose sur aucune relation historique. On peut remarquer, au contraire, que si l’Evêque Cauchon a pu se satisfaire des réponses de la Pucelle sur son état-civil, c’est qu’il connaissait bien son âge et son identité !
Nous retenons le témoignage de l’historiographe que l’on peut qualifier d’officiel du duc de Bourgogne, qui corrobore les éléments historiques en notre possession. Ce témoignage est renforcé par la qualité de l’auteur qui est un Prévôt puis un Bailli, c’est-à-dire un haut fonctionnaire sans doute peu enclin à produire des récits romancés.
L’historiographe officiel du parti Armagnac à suivre Jean Chartier donne le même âge.

- La chronique de Jean Chartier, rédacteur de la Chronique du religieux de Saint-Denis : Chartier est né à Bayeux vers 1385 - 1390 et décédé le 19 février 1464. C’est un historiographe de Charles VII, moine de l'abbaye de Saint-Denis. Il indique au § 131 de sa Chronique latine qu'il prit part à l'historiographie royale, confiée à l'abbaye de Saint-Denis, dans les quinze dernières années du règne de Charles VI, soit à partir de 1407 (donc comme assistant de Michel Pintoin). Il est mentionné pour la première fois dans les registres capitulaires de l'abbaye en 1430, détenant alors l'office important de Prévôt de la Garenne (dépendance de l'abbaye). En 1435, il était précepteur, ou commandeur, de Saint-Denis, charge très élevée. Le 18 novembre 1437, il prêta serment comme historiographe officiel du roi. En 1441, il fut commis par le roi, avec trois autres dignitaires, à l'administration du temporel de l'abbaye de Saint-Denis. La même année, il devint grand chantre de l'abbaye (après la mort du précédent titulaire Hue Pain le 1er novembre 1441). En 1450, il accompagna Charles VII dans une campagne militaire en Normandie et assista au siège d'Harfleur. En août 1458, il était toujours chantre de Saint-Denis.
Il a terminé la chronique latine du règne de Charles VI, dite Chronique du religieux de Saint-Denis, aujourd'hui attribuée pour l'essentiel à Michel Pintoin (du § 5 du livre XLI jusqu'à la fin du livre XLIII, soit de l'été 1420 au 21 octobre 1422). Ensuite il a rédigé à la fois une chronique latine (allant de 1422 à 1450) et une chronique française du règne de Charles VII. La chronique latine se trouve dans le manuscrit Bibliothèque Nationale nouvelles acquisitions latines 1796, la chronique française dans de nombreux manuscrits, et dans des éditions imprimées dès 1476, puisqu'elle était intégrée aux Grandes Chroniques de France en langue vernaculaire.

L'ouvrage de Jean Chartier

Ce personnage est un fidèle de la royauté qui participe aux campagnes contre le duc de Berry en 1412 et contre le duc de Bourgogne en 1414. En 1450, il accompagne Charles VII dans la campagne militaire de Normandie et assiste au siège d'Harfleur. En août 1458, il était toujours chantre de Saint-Denis. Son frère est Evêque de Paris, ambassadeur de France et juge du procès de réhabilitation de la Pucelle. C’est curieux de voir un ecclésiastique suivre des campagnes militaires, mais c’est sans doute pour les besoins de la cause, sa chronique.
Jean Chartier écrit : « En celui temps, vinrent nouvelles qu’il y avait une pucelle d’emprès Vaucouleurs ès marches du Barrois, laquelle était âgée de 20 ans ou environ (en 1428 donc). Et dit par plusieurs fois et à plusieurs autres qu’il était nécessité qu’ils l’emmenassent devers le Roi de France et qu’elle lui ferait grand service en ses guerres et par plusieurs les en requit ».
Les visites de Jeanne à Robert de Baudricourt se situent vers février 1428. Ainsi selon la version de Jean Chartier, en tenant compte du terme environ, la naissance de la Pucelle se situerait entre novembre 1407 et novembre 1408.
Jean Chartier donne une période de date qui entre dans notre fourchette de crédibilité. Cet auteur est donc bien renseigné. Il l’est sans doute, par son frère Alain, qui a accès aux documents des archives royales et aux lettres de Robert de Baudricourt datées de février 1428. C'est la source la plus précise et la mieux informée pour l'histoire politique de la France de cette période. L'auteur avait accès à des documents confidentiels de la chancellerie royale (lettres reçues ou envoyées par le roi, comptes-rendus d'ambassades, etc.).
Nous accréditons ce témoignage de l’historiographe officiel du roi, assermenté, et renseigné pas ses liens familiaux. On n’imagine pas cet auteur falsifier une donnée, compte tenu de sa promesse solennelle faite au roi. Par contre cet auteur ne peut livrer la date de novembre 1407, date qui correspond à la naissance d’un enfant de la reine Isabau, sans ajouter avec le terme « ou environ », une plage de dates lui permettant de minimiser sa responsabilité.

- La chronique de Martial d’Auvergne : Martial de Paris, connu sous le nom de Martial d'Auvergne, né vers 1420 à Paris et mort le 13 mai 1508, est un poète français. D’une famille sans doute originaire d’Auvergne, il fut notaire au Châtelet, et pendant cinquante ans, procureur au Parlement de Paris. Son double statut d'homme de loi et de poète le rapproche de Gilles d'Aurigny (mort en 1553), qui a d'ailleurs repris certaines de ces œuvres.
Il fut employé par les religieuses de l'abbaye de Maubuisson en 1487.
Son principal ouvrage a pour titre Vigilles dee Charles VII à neuf psaumes et neuf leçons (Paris, 1493, in-4° et 1724, 2 vol. in-8°). Sous ce titre emprunté à la liturgie, c’est une chronique rimée, en divers rythmes, de la guerre contre les Anglais. La narration en est vive, attachante et tourne parfois à la satire. Les possesseurs de nombreux bénéfices ecclésiastiques ne sont pas épargnés. L’auteur a donc une certaine morale religieuse.
Nous reprenons le commentaire de Jean Bancal : Martial d’Auvergne mit en vers la Chronique de Jean Chartier sous le titre Vigiles de Charles VII. L’auteur est un procureur parisien qui parait être mieux renseigné que d’autres chroniqueurs. On lit dans ce poème, paru en 1484, que l’on trouve dans Quicherat, V, 52, qu’à dix-huit ans, Jeanne était encore une bergerette, ce qui est inconciliable avec la date traditionnelle de naissance de 1412, impliquant qu’elle avait seize ans lorsqu’elle effectua, en mai 1428, sa première démarche auprès de Baudricourt. Par contre, née en 1407, il est bien exact qu’à dix-huit ans elle se trouvait encore à Domrémy. (Notre commentaire : sans le vouloir ou très malin Martial d’Auvergne nous donne la solution ! Jean Bancal dit qu’il vend la mèche). Martial d’Auvergne était vraisemblablement bien informé de la date de naissance de la Pucelle, mais la fabrication de son poème doit effectivement être comparé avec certaines réalités !
Ce témoignage crédibilise les éléments historiques en notre possession autour de la date autour de 1407- 1408 et, autour de la naissance du dernier enfant de la reine Isabeau, comme le suppose Jean Bancal.

- La chronique de Jean Lefèvre de Saint-Rémy ou Jean Le Fèvre de Saint-Rémy (1395 - 16 juin 1468) : Il est seigneur de Saint-Rémy, de la Vacquerie, d'Avesne et de Morienne. C'est un chroniqueur bourguignon qui exerce pendant la guerre de Cent Ans. Il est également surnommé « Toison d'Or » en raison de ses rapports étroits avec l'ordre de la Toison d'Or. D'origine noble, il a fait métier dans les armes et s'est battu, aux côtés des Bourguignons, dans l'armée anglaise à la bataille d'Azincourt. En 1430, lors de la fondation de l'Ordre de la Toison d'Or par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, Jean le Fèvre est nommé roi d'armes et devient rapidement un personnage influent de la cour de Bourgogne. En plus d'assister souvent Philippe lors des négociations avec des puissances étrangères, il sert d'arbitre dans les tournois et dans diverses questions de chevalerie, auxquelles sa connaissance profonde de l'héraldique est très appréciée. Il s'éteint à Bruges de mort naturelle.
Jean Le Fèvre a composé une Chronique ou Histoire de Charles VI, roi de France. La majeure partie de cette chronique n'est qu'une reprise de l'œuvre d'Enguerrand de Monstrelet, mais sa chronique est originale en ce qui concerne les années 1428 à 1436 et apporte de précieux renseignements notamment lorsqu'il est question de la chevalerie à la cour de Bourgogne. Il est plus concis que Monstrelet mais il se montre tout aussi partial à l'égard des ducs de Bourgogne.
En 1422 il fut nommé Héraut d’Armes sous le nom de « Charolais » et « Roi d’Armes de la Toison d’or ». Sa carrière en fit un des plus intimes officiers du Duc de Bourgogne et en 1464 il écrivit « Ses Mémoires » :
« Or il convient de parler d’une aventure qui advint en France la non pareille, je crois, qui y advint jamais. En un village des marches de Lorraine, il y avait un homme et une femme mariés ensemble qui eurent plusieurs enfants, parmi lesquels une jeune fille qui dès l’âge de sept ou huit ans fut mise à garder les brebis aux champs et fit longtemps ce métier. Or du temps qu’elle pouvait avoir dix-huit ou vingt ans, il est vrai qu’elle put dire qu’elle avait souvent des révélations de Dieu que vers elle venait la glorieuse Vierge Marie accompagnée de plusieurs anges, saints et saintes, parmi lesquels elle nommait Sainte Catherine et David le prophète avec sa harpe qui sonnait mélodieusement. »
Cet auteur montre qu’il a intégré toute la propagande développée par le Dauphin Charles autour de la Pucelle en rajoutant de son propre chef la Vierge Marie et David le prophète !
Il apporte une nouvelle confirmation pour une naissance entre septembre 1407 et septembre 1409.
Voilà encore un proche du pouvoir bourguignon, un seigneur de Cour, qui montre une hésitation sur un sujet dont il est parfaitement informé, et sur lequel il ne souhaite pas manifestement être précis.
Son maître Philippe le Bon a épousé en 1409 Michelle de Valois, née le 11 ou 12 janvier 1395 et morte en 1422. Michelle était la fille de Charles VI de France et d'Isabeau de Bavière. Ce chroniqueur protège la Maison ducale de Bourgogne, et pour cela n’entre pas dans les affaires de la dynastie des Valois et dans les frasques d’Isabeau de Bavière.
Ce personnage offre une certaine crédibilité car il indique que la Pucelle peut être née à partir de septembre 1407, ce qui est corroboré par les données historiques à notre disposition. Cela étant sa plage de date qui va jusqu’en septembre 1409 n’est aucunement crédible.
On a coutume de dire que parce que c’est un bourguignon, naturellement opposé au roi Charles, on peut lui faire confiance ! Ce n’est pas le cas ici parce qu’en fait, la famille ducale de Bourgogne doit protéger sa notoriété comme la famille de France les Valois. Un obligé du duc de Bourgogne ne donnera pas la date de naissance de la Pucelle, à moins de la situer dans une large plage de dates, oblitérant ainsi toute responsabilité de sa part.

- La chronique de Wavrin du Forestel dit bâtard de Wavrin, seigneur du Forestel : Conseiller et chambellan de Philippe le Bon en 1465, ce personnage a laissé de curieux mémoires.
Ce dernier a combattu avec les Anglais contre la Pucelle. Au lieu d'en faire un livre à part, il a disséminé ses propres "chroniques" dans une vaste compilation de six volumes chacun divisés en six livres formées par lui avec les principaux chroniqueurs de son siècle, tels que Froissart, Monstrelet et Matthieu de Coussy. Bon nombre de ces additions concernent l'Angleterre à cause de la prédilection de l'auteur pour cette puissance. Il donna à son travail le titre d’Anciennes Chroniques d'Angleterre. Il l'écrivit en grande partie de 1455 à 1460. Le tome I reprend l'œuvre de Monstrelet et de Le Fèvre (1420-1444) à laquelle il a ajouté ses propres commentaires. Recueil des chroniques et anciennes histoires de la Grande-Bretagne, à présent nommé Angleterre (ms. BNF, fr. 71) ; Anciennes Chroniques d'Angleterre (mss. BNF, fr. 74-85) ; Chroniques d'Angleterre (mss. BNF, fr. 72, expl. fr. 87, expl.). Anciennes Chroniques d'Angleterre par Jehan de Wavrin, seigneur de Forestel. Choix de chapitres inédits annotés et publiés pour la Société de l'histoire de France par Mlle Dupont, Paris, Renouard, 1858-1863, 3 t. [IA : t. 1, t. 2, t. 3].
Wavrin du Forestel fut le premier à présenter Jeanne comme l’instrument d’une manœuvre politique et à la faire endoctriner par Robert de Baudricourt. C’est ce que nous appelons nous « L’opération Bergère ». Cet auteur doué d’une certaine clairvoyance politique est néanmoins tenu de par ses fonctions à une certaine retenue.
Il écrit dans ses Chroniques d’Angleterre :
« En cel an que l’on comptait 1428, le siège étant devant Orléans, vint devers le Roi Charles de France à Chinon, où il se tenait pour lors, une jeune fille qui se disait être Pucelle, âgée de vingt ans ou environ. Elle était vêtue et habituée en guise d’homme née des parties entre Bourgogne et Lorraine d’une ville nommée Dom Rémy emprès de Vaucouleurs. »
Nous avons ici une rédaction identique à celle de Monstrelet qui fixe la naissance de la Pucelle entre septembre 1407 et septembre 1408.
Ce personnage conseiller et chambellan de Philippe le Bon est l’un des mieux renseigné du duché de Bourgogne. La famille de Bourgogne ayant des liens familiaux avec la famille de France, Wavrin du Forestel connait sans doute très bien l’état-civil de la Pucelle. Le fait qu’il nous donne une date à partir de septembre 1407 autorise une certaine crédibilité de notre part.
Encore un auteur qui ne soutient pas la date de 1412 couramment admise aujourd’hui. Comme le chroniqueur Jean Le Fèvre de Saint-Rémy, son attachement à la Maison de Bourgogne ne lui permet pas de s’immiscer malencontreusement dans les affaires dynastiques de son prince et du royaume. Cependant, il nous donne la preuve que les Bourguignons n’était pas dupe de la vaste opération de propagande, développée par le clan du Dauphin Charles, pour reprendre l’avantage militaire et politique avec l’aide de la Pucelle.

- La chronique de Gilles Le Bouvier, dit « le Héraut Berry » : Gilles Le Bouvier est né en 1386, sans doute dans le Berry, mort vers 1455, dignitaire, diplomate et écrivain français du XVe siècle. Il vint chercher fortune à Paris en 1402. En 1420, le dauphin Charles, réfugié à Bourges, le nomma son héraut, d'où son surnom de « Héraut Berry ». En 1425, il fut envoyé à la cour de Bretagne (préparant le traité de Saumur du 7 octobre 1425 entre le roi Charles VII et le duc Jean V). Devenu roi d'armes, il marchait devant le roi entrant à Paris en 1437. En 1448, il accompagna Jacques Cœur dans une fastueuse ambassade à Rome pour faire obédience au pape Nicolas V. Il participa à plusieurs autres ambassades et fit à ces occasions de longs voyages. Son nom apparaît pour la dernière fois dans les comptes royaux le 1er octobre 1454.
Il est l'auteur d'une Chronique du roi Charles VII qui va de la naissance du souverain en 1403 (1402 « vieux style ») jusqu'en 1455 (avec deux continuations anonymes, la première jusqu'en 1459, et la seconde jusqu'à la mort du roi en 1461). C'est un panégyrique du roi, mais l'auteur est bien informé, et donne de précieux détails sur les expéditions militaires. La partie qui va de 1403 à 1422 (mort de Charles VI) a servi dans la première édition imprimée des Grandes Chroniques de France, réalisée en 1476/77 dans l'atelier de Pasquier Bonhomme. Dans les premières éditions du texte entier (Paris, chez F. Regnault, 1528 ; Nevers, 1594), il est curieusement attribué à Alain Chartier, ce qui induisit encore en erreur André Duchesne, qui fit figurer la chronique dans son édition des œuvres complètes d’Alain Chartier en 1617 (Ne pas confondre avec Jean Chartrier cité précédemment). Mais il s'aperçut lui-même très vite de la méprise en découvrant un nouveau manuscrit (comme l'indique le jésuite Philippe Labbe dès 1651 dans son Abrégé royal de l'alliance chronologique de l'histoire sacrée et profane), et Denis Godefroy put éditer le texte sous le nom de son véritable auteur : le début dans son Histoire de Charles VI (1653, p. 411-444), le reste dans son Histoire de Charles VII (1661, p. 369-474). Plus récemment, il a été réédité par Léonce Celier et Henri Courteault (Paris, C. Klincksieck, 1979).
Cet auteur a entendu parler de cette Pucelle à la Cour, sans doute l’a-t-il vue et déjà se propage, avec tous ces chroniqueurs, la légende entretenue par le roi de la bergerette qui garde les moutons…
Le héraut Berry donne un âge de dix-huit à vingt ans en mars 1428. Il situe ainsi l’année de naissance de la Pucelle entre 1408 et 1410. Nous sommes sur la chronique d’un serviteur du roi. Un héraut ou héraut d'armes est un officier de l'Office d'armes, chargé de faire certaines publications solennelles ou de porter des messages importants. C’est un homme de confiance, et dans le cas précis il ne dit rien qui puisse déplaire à son maître le roi ! Il ne peut donc pas donner une date exacte, et donne une large plage de dates pour se dédouaner.
Voilà un serviteur de l’entourage du roi qui nous donne une plage de date très éloignée de 1412. On peut attacher une certaine crédibilité à ce fait. Cependant la date de 1408 est imprécise car on n’a pas de précision sur le mois concerné dans cette année.

L'ouvrage de Gilles le Bouvier

- La chronique de la Pucelle ou chronique de Cousinot : Guillaume Cousinot de Montreuil est l’auteur de cette chronique. Il est né en 1400 et meurt en 1484.
Guillaume Cousinot de Montreuil est surnommé Guillaume Cousinot II ou « Le Jeune » car il était le fils de Guillaume Cousinot le Chancelier. Longtemps, les historiens hésitèrent sur le lien de parenté entre ces deux personnages. Jusqu'au XIXème siècle, la thèse de l'oncle et de son neveu était avancée jusqu'à ce que l'archiviste Jules Doinel, à partir de documents historiques, lui permettent d'affirmer que les deux Guillaume Cousinot étaient père et fils.
Guillaume Cousinot de Montreuil était également poète et historien. Entre 1418 et 1436, il combat pour le parti Armagnac. Il obtint les charges de " Grand Maistre Gouverneur ", Visiteur et Juge ordinaire des mines et dépendances, puis chancelier et chambellan des rois Charles VII et Louis XI. Conseiller et Maître des requêtes à l’Hôtel du Roi.
Entre 1444 et 1449, il est nommé diplomate et envoyé en représentation diplomatique en Angleterre pendant une période de trêve entre les deux pays.
Il est nommé Chevalier lors du siège de Rouen, et Charles VII le nommé bailli de Rouen de 1449 à 1461.
En 1451, il est de nouveau nommé ambassadeur auprès de la Cour d'Écosse. Il est alors capturé par les Anglais qui le garderont en captivité pendant trois années. Charles VII le fait libérer en échange d'une forte rançon.
En 1459, Cousinot de Montreuil représente le roi de France au concile de Mantoue en Italie et remplira la mission d'ambassadeur à Rome.
En 1461, Charles VII meurt. Son fils, Louis XI, le fait emprisonner avant de se raviser et d'en faire son chambellan.
Dès 1463, le roi le nomme concierge à la Conciergerie du Palais à Paris, puis capitaine de Cabrières en Languedoc à la suite du traité de Bayonne (1462). Il fut nommé coup sur coup châtelain de Lattes-lès-Montpellier, capitaine de Sauxe (Salses) près de Perpignan, gouverneur et bailli de Montpellier.
Dans une lettre de Louis XI datée d'Abbeville le 29 septembre 1464, il se trouve en tant que l'un de ses conseillers, « ... Guillaume Cousinot, chevalier ... ».
En 1465, il servit fort utilement le roi pendant la ligue du Bien public. Ainsi, Louis XI augmenta-t-il sa pension de 600 à 3 000 francs, pour récompense de ses services.
En 1467, il commença la rédaction d'une chronique médiévale historique : la " Chronique de la Pucelle ". Cette chronique puise ses sources dans celle de la " Geste des Nobles " écrite par son père, avant de s'attarder sur l'épopée de Jeanne d'Arc. Mais l'historien Craig Taylor pense que Cousinot n'est pas l'auteur de cette chronique. Il lui attribue un traité polémique défendant la monarchie des Valois contre les souverains anglais : Pour ce que Plusieurs (La Loy Salique), écrit probablement en 1465 dans le contexte des rencontres entre Louis XI et Edouard IV.
En 1470, Il est nommé ambassadeur à Rome.
En 1483, après la mort de Louis XI, il devient, malgré son grand âge, le conseiller du nouveau roi Charles VIII de France.
En 1484, il participa aux états généraux de 1484 à Tours. Il mourut la même année.
Cet auteur s’exprime avec une belle aisance et des lumières aussi remarquables sur les plus grandes affaires, aussi bien que sur des particularités morales à la fois très circonstanciées et très intéressantes.
Cette chronique rend compte, pour ainsi dire à chaque page, des séances du conseil privé de Charles VII et son style est celui d’un membre de ce conseil. Il s’inspire souvent de la Geste des nobles français, mais et cela se remarque, il n’habitait pas à Orléans mais à Poitiers ; aussi ses détails sur l’examen de Jeanne sont remarquables et plus circonstanciés. Il s’arrête en septembre 1429.
Voici son récit de l’arrivée de la Pucelle :
« Les nouvelles de ladite Pucelle vinrent à Orléans, comme c’était une fille de sainte et religieuse vie, qui fut fille d’un pauvre laboureur de la contrée de l’Election de Langres, près de Barrois, et d’une pauvre femme du même pays qui vivaient de leur labeur ; qu’elle était âgée environ de dix-huit à dix-neuf ans, et avait été pastoure au temps de son enfance ; qu’elle savait peu de choses mondaines, parlait peu, et le plus de son parler était seulement de Dieu, de sa benoite mère, des anges, des saints et saintes du Paradis… ».
L’indication de « environ de dix-huit à dix-neuf ans » à six mois près pour l’environ est susceptible de préconiser une naissance entre mi-1408 et mi-1409.
Voilà un dignitaire, témoin du procès de Poitiers, chancelier et chambellan de Charles VII, élevé à la dignité de chevalier, qui est capable de prendre ses renseignements à la source (le roi) et qui n’est pas capable de les transcrire sans hésitations ! Ou qui, tout simplement ne dit rien de précis parce qu’il sait tout, mais ne veut rien dire, en sa qualité de chancelier ! Un chancelier protège habillement son roi en toutes circonstances ! Il intègre bien autrement toute la propagande royale sur la Pucelle, « fille d’un pauvre laboureur » ! C’est la preuve que c’est un chancelier fidèle et dévoué. Cela nous laisse penser que c’est la voix de son maître et comme son maître n’a pas intérêt à communiquer la date de naissance de sa sœur Jeanne, on a rien à attendre de cet auteur.
On n’accorde pas une grand crédibilité à ce témoignage qui donne une date qui n’est appuyée sur aucune autre donnée en notre possession. Ce témoignage ridiculise une fois de plus la date de 1412 dont nous sommes toujours incapable de dire l’origine historique ancienne et n’honore pas la mémoire de l’auteur de la chronique.

- Le témoignage littéraire de Pierre Empis : Moine du couvent des Chanoines réguliers de Bethléhem près de Louvain en 1467, il devint Prieur en 1491 et y mourut en 1523. Appartenant au clan bourguignon, il semble favorable à la Pucelle :
« Il y avait près de Vaucouleurs une jeune fille âgée de 20 ans, qui par la perpétuelle intégrité de son corps mérita le nom de Pucelle. Emue de la pitié à la vue des calamités de son temps, elle va trouver Robert, gouverneur de sa ville affirmant que si elle était conduite devant le roi Charles, elle ne serait pas médiocre secours dans l’extrémité dans laquelle on était réduit. »
Une confirmation nette et claire pour une naissance en 1408. Louvain est une ville, proche de Bruxelles, possédant une université catholique, dans une région où certains sont des fidèles du roi Charles.
Ce témoignage est important car la source est digne d’intérêt et entre dans notre fourchette de dates crédibles. Une datation sur 1408 effectuée par ce type de personnage, montre que très loin de la Cour on est sans doute mieux renseigné que ceux qui en font partie ! Ce moine doit tenir ses informations des hommes d’Eglise qui sont, à l’instar de l’évêque Cauchon, les conseillers et diplomates des princes qui gouvernent.

- La Chronique de Perceval de Cagny : Il existe une Chronique anonyme d'Alençon qui relate l'histoire de la maison d'Alençon depuis saint Louis jusqu'à la mort de Louis XI. Une place particulière est dévolue au duc Jean II, personnage au destin hors norme. En effet, il combattit durant la guerre de Cent Ans auprès de Charles VII et de Jeanne d'Arc, qui le surnomma le « beau duc ». Mais après avoir été un artisan de la reconquête du royaume de France sur les Anglais, il bascula dans leur camp adverse à la fin des années 1440. Arrêté, il fut condamné pour crime de lèse-majesté en 1456 lors du célèbre lit de justice de Vendôme.
Mais il existe une autre chronique consacrée à la maison d'Alençon, la Chronique de Perceval de Cagny, écrite après 1434 et avant 1437, sous la dictée du duc d’Alençon lui-même, qui débute elle aussi avec le règne de saint Louis mais s'achève avant la trahison de Jean II d'Alençon. Elle a été éditée en 1902 par Henri de Moranvillé.
Le duc est un personnage important car dès 1429 il rejoint l'armée de Jeanne d'Arc qu'il rencontre à Chinon. Il devient un des amis proches de la Pucelle qui le surnomme également le « gentil duc ». Il l'accompagne dans ses campagnes, et notamment au siège d'Orléans. Par la suite, Alençon est nommé lieutenant-général du roi et combat sur la Loire aux côtés de Jeanne. Le 12 juin 1429, il remporte la victoire de Jargeau et prend la ville, où s'était réfugié le Comte de Suffolk. Il contribue aussi au succès de Patay. Il participe en juillet à la marche sur Reims, puis le 17 juillet, arme Charles VII chevalier avant d'assister à son sacre.
Cependant Perceval de Cagny, l’historiographe des ducs d’Alençon, dont la chronique a été écrite certainement après 1434 et avant 1437, est un des auteurs anciens qui nous ont fourni sur la vie de la Pucelle les renseignements les plus sûrs.
Il écrit page 38 : « Le Bon Dieu, voulant donner remède et fin à l’affliction des bons et loyaux Français, suscita l’esprit d’une jeune pucelle de dix-huit à vingt ans ». Mais à la page 139 il lui donne « vingt-huit ans ou environ » lorsqu’elle fut capturée à Compiègne, ce qui est contradictoire. Cette précision de dix-huit ans ou environ donne un âge de 17 ans et demi ou 18 ans et demi et situe donc la naissance de la Pucelle entre septembre 1409 et septembre 1410.
Si imprécis que soit Perceval de Cagny quant à l’âge exact, il apporte cependant un témoignage inconciliable avec la version classique suivant laquelle Jeanne n’aurait eu que dix-huit ans et demi à Compiègne.
Nous sommes en présence d’un compagnon de la Pucelle, le duc d’Alençon, qui dicte cette chronique, un « grand » du royaume qui nous donne une version différente de la version issue de la légende ! On ne peut pas croire que ce dernier n’était pas au fait de la date de naissance de la Pucelle.

FJean d'Alençon

Nous ne pouvons pas recouper cette plage de dates avec les éléments historiques en notre possession issus des procès de Toul et de Rouen. Pour cela, ce témoignage n’est pas crédible.
Ce témoignage renforce en fait les doutes que l’on peut avoir, car les contradictions émises par cet auteur révèlent la gêne du chroniqueur sur le sujet sensible de la date de naissance de la Pucelle.
De plus, s’agissant d’un proche de la famille et du pouvoir, au fait des évènements du royaume, on remarque avec étonnement que nous sommes très loin de la date de 1412 qui passe pour officielle aujourd’hui !

- Le témoignage littéraire de Jehan Bouchet dans les Annales d’Aquitaine : Cet ouvrage de l’historien Jean Bouchet (1476-1557), est conservé par la Médiathèque François Mitterrand de Poitiers qui l’a numérisé. Nul besoin d’expliquer l’intérêt de ce livre pour l’historien, voire pour le généalogiste. On n’oubliera pas, cependant, qu’il ne s’agit pas d’une œuvre collective et que la subjectivité de l’auteur doit être prise en compte.
Jean Bouchet était écrivain mais exerçait avant tout, à Poitiers, la profession de procureur. Il était l’ami de Rabelais avec lequel il a travaillé. Outre ses œuvres d’historien, il a laissé aussi des fantaisies en prose comme en vers. Voici ce qu’en disait Régis Rech, conservateur de la Médiathèque François Mitterrand, dans un colloque en 2001 à Poitiers :
« Dans ses Annales d’Aquitaine et ses Généalogies et épitaphes des Roys de France, Jean Bouchet cite consciencieusement plus de cinquante sources historiques différentes. Sa culture historiographique nous apparaît large et diversifiée. Si les historiens du Bas Moyen Age et de la Renaissance sont majoritaires (avec une bonne proportion d’Italiens), leurs prédécesseurs sont représentés dès l’Antiquité classique. Soucieux de garantir les faits qu’il rapporte, Bouchet privilégie dans son discours les auteurs plus anciens sur les compilateurs modernes. Ainsi, à force d’exemples, il détruit la réputation de son aîné Robert Gaguin, dont il dénonce l’absence de méthode et d’esprit critique. Mais en accordant trop systématiquement sa confiance aux témoins oculaires ou prétendus tels, il tombe à plusieurs reprises dans le piège des pseudépigraphes »
Dans les Annales d’Aquitaine l’auteur consacre quelques pages à la Pucelle :
« En si grosse affaire, Dieu n’oublia pas le Roi de France et son royaume, car il lui envoya une simple bergère de 18 ans ou environ, nommée Jehanne, native du village de Dom Rémy près de Vaucouleurs en Lorraine, qui pour l’intégrité de sa vie était nommée la Pucelle. »
Ce témoignage est intéressant car c’est un concentré de la propagande royale qui accompagna le début de la saga de Jeanne. On y trouve tout, à savoir Dieu qui envoie Jeanne, la simple bergère, la Lorraine, la Pucelle ; on note que pour l’état-civil, comme nous dirions aujourd’hui, la Pucelle c’est le nom de Jeanne !
Jean Bouchet cite une bonne proportion d’historien Italiens, il n’est peut-être pas étonnant que l’auteur parle de la Pucelle. Ces renseignements situent la date de naissance entre novembre 1409 et novembre 1410. Il est en dehors de note écart-type de 1407 – 1408, c’est dire qu’il a, sans doute, effectivement accordé sa confiance trop facilement à celui qui devait le renseigner ! Nous sommes toujours très éloigné de la fameuse date de 1412 qui polarise tous nos auteurs modernes !

- Le témoignage littéraire du greffier-trésorier de la Rochelle : De l’un des registres endommagés lors du siège de la Rochelle de 1628, et transférés en huit gros ballots à la Cour des Comptes de Paris en 1631, où ils furent à nouveau endommagés lors d’un incendie en 1735, a été tiré au XVIIIe siècle un extrait intitulé : « Extrait de la matrice des Maîtres-Echevins de la Ville de La Rochelle contenue dans le Livre Noir écrit en parchemin… ».
Ce registre avait été tenu au XVème siècle par un greffier-trésorier de la ville, certainement bien renseigné, du fait qu’il ajoute à son récit des particularités que l’on ne trouve que chez lui. La relation a été tirée du registre que trois cents ans après les évènements par un échevin, Amos Barbot, sans doute, voulant de plus selon la mode du temps, mettre l’écrit ancien au goût du jour, commettant ainsi volontairement ou non de nombreuses erreurs dans les chiffres et les dates. Le sieur d’Aussy publia les extrait en 1886, dont le suivant :
« L’an de grâce 1429 fut Maire de La Rochelle honorable homme sire Hugues Guibert.Item le 23ème jour dudit mois de février vint devers le Roi notre Sire qui était à Chinon, une pucelle de l’âge de 16 à 17 ans, née à Vaucouleurs en la duché de Lorraine, laquelle avait nom de Jeanne et était en habits d’homme c’est à savoir pourpoint noir, chausses estachées, robe courte de gros gris noir, cheveux ronds et noirs et un chaperon sur la tête ».
Cet auteur fait naître la Pucelle à Vaucouleurs, qui en 1429 ne dépend pas encore du Duché de Lorraine. Le fait d’arriver à Chinon le 23 février 1429, alors qu’en février on était encore à l’année précédente 1428 (nous sommes eystème de calendrier Julien), le fait d’entrer à Orléans le 8 mai alors que ce fut le 29 avril, situer le siège de Jargeau le 10 juin au lieu du dimanche 12, réduire le nombre des Anglais à Patay à 300 hommes alors qu’ils étaient 3000, sont en quelques lignes un bon début d’erreur, déterminant ainsi l’âge de Jeanne par une naissance entre février 1411 et février 1412.
Ce témoignage n’est pas très convainquant sur le plan de sa crédibilité. Son récit est de l’ordre du conte avec aucun respect pour l’histoire. Amos Barbot a saccagé le texte sur le plan des dates, en voulant bien faire sans doute, mais ce qui est désastreux sur le plan historique ! C’est l’exemple parfait du témoignage qui peut tromper l’historien.

- Les notes du Greffier de l’Hôtel d’Albi : Encore un greffier municipale qui consigne dans les registres du Cartulaire de l’Hôtel de Ville d’Albi ce qu’il a entendu sur la Pucelle en langue romane. L’original de son récit est conservé aux Archives du Tarn. Le passage suivant est intéressant :
« Il faut savoir qu’au mois de mars 1428 vint vers ledit Roi de France une fille jeune pucelle de l’âge de 14 à 15 ans, elle était du pays et duché de Lorraine, pays qui est des côtés d’Allemagne. Cette pucelle était une pastourelle innocente, qui tout le temps de sa vie avait gardé les brebis. Elle vint vers le Roi, dans les temps susdits, en la ville de Chinon, accompagnée de ses deux frères et quelques autres en petit nombre l’accompagnaient. »
Du fait de l’exagération très nette du rajeunissement de l’âge de la Pucelle, nous avons pensé que le texte d’Albi avait été écrit vers les temps du procès en nullité de condamnation. Aussi avons-nous cherché à dater le folio 154. Le folio précédent, soit le 153, transcrit des textes de 1435 à 1463 ; le folio qui suit celui qui nous intéresse transcrit les textes de 1432 à 1438 et le folio 155 des textes de 1445 à 1472.
Il convient d’estimer que le passage sur la Pucelle daterait d’une période comprise entre 1428 et 1432. L’écriture du folio 154 est plus proche de l’écriture de 1432 que celle du folio précédent, écrit en 1453.
Quoiqu’il en soit, permettons nous une remarque : Si Jeanne était née en 1412, comme on le fait dire officiellement et qu’elle avait 14 ou 15 ans lors de son arrivée à Chinon, comme l’indique le greffier, l’évènement de cette arrivée se serait passé en 1426 ou 1427 ; or, elle est venue en réalité à Chinon le 6 mars 1428.
Une date de naissance en 1413 ou 1414 n’est pas crédible car elle outrepasse toutes les dates des chroniqueurs précédemment cités. De plus, elle s’écarte des renseignements historiques que nous possédons nous permettant de fixer une fourchette de 1407 -1408. De plus la Pucelle née en 1413 ou 1414 est physiquement trop jeune pour correspondre à la description que nous avons du personnage.

- Le témoignage du Seigneur de Rotselaer par le greffier de la Chambre des Comptes du Brabant : Le greffier de la Chambre des Comptes du Brabant reçut alors une lettre en latin du seigneur de Rotselaer, datée de Lyon du 22 avril 1429 qu’il inscrit dans son registre avec une mention en français :
« Postérieurement il écrit sur la relation de ce même seigneur qu’une jeune fille originaire de Lorraine, du nom de Jehanne, âgée de 18 ans ou environ se trouva près du Roi et qu’elle délivrerait Orléans et mettra les Anglais en fuite, quelle même sera blessée d’un trait devant Orléans, mais qu’elle ne pourra pas, que cet été le Roi sera couronné à Reims, et lui a dit plusieurs autres choses, dont le Roi a gardé le secret. »
Le texte de ce témoignage semble être le même que celui de Perceval de Cagny écrit postérieurement !
Une indication pour une naissance de la Pucelle entre septembre 1409 et septembre 1410 n’est pas vraisemblable pour nous. Nous ne pouvons pas recouper cette plage de dates avec les éléments historiques en notre possession issus des procès de Toul et de Rouen. Pour cela, ce témoignage comme celui de Perceval de Cagny n’est pas crédible.

- La chronique d’Antonio Morosini : Antonio est le fils d’un important bourgeois et commerçant vénitien. Il tenait un journal dans lequel il fait référence aux courriers de concitoyens installés à l’étranger et il consigne leurs informations chronologiquement selon les dates de ces lettres.
Auguste Molinier, dans le tome IV des Sources de l'histoire de France (1904), explique que les informations de Morosini sont de qualités diverses, mêmes si elles sont de première main, du moins concernant la période allant de 1388 à 1403. Après 1388, la Chronique de Morosini semble originale, l'auteur ayant utilisé les nouvelles dont il a connaissance par les journaux de l'époque, les gazettes, et par les lettres qu'il reçoit de ses correspondants à travers l'Europe.
L’original du manuscrit de Morosini se trouve aux archives de Vienne, acheté par le gouvernement autrichien en 1801. Une copie se trouve à la bibliothèque Marciana de Venise.
Il écrit : « En l’an 1429 en date du 9 juillet, reçue le 2 août ; nouvelles de Jehanne la Pucelle venue au royaume de France. Ladite Pucelle est âgée de 18 ans ou environ, du pays de Lorraine sur les confins de la France, elle était béguine, gardeuse de brebis, fille d’un villageois. Au début mars, elle quitta son troupeau, fit pris Dieu et ses parents et demanda à quelques gentilhommes de l’accompagner. Elle ne trouva aucune opposition, ou l’assurance qu’elle leur donna d’être mue par inspiration divine ».
Lorsque Morosini parle de 1429 en juillet-août, il est dans le vrai, mais le départ de la Pucelle en février-mars se situe encore en 1428. Donc aucun bouleversement avec son texte. Pour lui Jeanne est née entre septembre 1408 et septembre 1410.
On est dans la limite supérieure de notre fourchette (septembre 1408), qui rejoint les témoignages de Monstrelet, Chartrier, Cousinot, Lefèvre de Saint-Rémy, Wavrin du Forestel, le Héraut Berry, Empis, et toujours très loin de 1412.
On peut attacher une certaine crédibilité à l’auteur de ce témoignage, mais on peut considérer, que septembre 1408 est une date déjà très éloignée, par rapport aux éléments que nous avons sur septembre 1407. La date de 1410 est hors de portée historique.

- Le témoignage oral de Jean d’Aulon : Jean d’Aulon est né en 1390 et mort en 1458, fut capitaine (1416-1423) des écuyers (gardes royaux) de Charles VI, conseiller (1425-1426) du roi Charles VII, prévôt royal de Toulouse (1427), écuyer et maître d’hôtel (1429-1430) de Jeanne d'Arc avec laquelle il est pris dans le dernier carré à Compiègne (24 mai 1430), gouverneur de la forteresse de Pierrepertuse (1450), maître d’hôtel et chambellan (1450) de Charles VII, diplomate (1452-1454), gouverneur du château de Pierre Scize (1454), sénéchal de Beaucaire et de Nîmes (1455).
Auteur d’une déposition (20 mai 1456) au procès en réhabilitation (7 nov. 1455 - 1456) de Jeanne d’Arc, synthèse de l’épopée forgée au cœur de l’action par le témoin privilégié de la Pucelle.
Jean d’Aulon donne la date de 1413 pour la naissance de la Pucelle.
Ce dernier faisait, en effet, partie du Conseil du Roi. A ce titre, il assista à l’enquête de Poitiers, recueillit avec ses collègues les déclarations de Jeanne, et eut certainement connaissance du rapport des Frères mineurs, envoyés entre temps à Domrémy et à Vaucouleurs pour y prendre des renseignements sur la Pucelle. De plus, il demeura l’écuyer de Jeanne, depuis son départ pour Orléans jusqu’à sa capture à Compiègne, où il fut fait prisonnier avec elle. Pendant les treize mois de sa rude chevauchée, il ne la quitta pas d’un jour, vécut à ses côtés, entendit ses confidences, et la connut mieux que nul autre. Si quelqu’un peut avoir connu exactement l’âge qu’avait Jeanne au moment de l’enquête de Poitiers, il semble bien que ce soit lui.
Ce témoignage qui émane d’un chambellan de Charles VII ne peut pas être retenu car il outrepasse la date de 1412 déjà trop lointaine pour être prise au sérieux.
Le témoignage de Jean d’Aulon, pour extravagant qu’il soit, ressemble à un faux témoignage pour la bonne cause. Compte tenu de la proximité de ce personnage avec Charles VII et les milieux diplomatiques, nous considérons que ce dernier pouvait difficilement se tromper, à moins de sciemment se tromper, pour défendre la cause du roi ? en cachant tout ce qui pouvait rattacher la Pucelle à la famille royale. 

Jean d'Aulon.

- Les dépositions de quatre assesseurs au procès de condamnation de la Pucelle Pierre Miget, Nicolas de Houppeville, Pierre Cusquel et Jean Riquier.
Ces personnages ont été interrogés en 1455 et 1456 lors du procès de réhabilitation et donnent à la Pucelle 19 ou 20 ans environ en 1431 ce qui place sa naissance en 1411 ou 1412.
Ces quatre témoins paraissent ainsi s’en référer dans leur souvenir, davantage aux déclarations de Jeanne relative à ses voix qu’à ses réponses concernant son âge. Pour une fois nous sommes d’accord avec Cordier. C’est Jean Fabri, religieux augustin, devenu ensuite évêque de Démétriade, qui inspire la réflexion de Cordier, car il cite un interrogatoire de la Pucelle sur ses visions : Jean Monnet, secrétaire de Jean Beaupère, qui prenait des notes au procès de 1431, mais non comme greffier officiel, dit que Jeanne se plaignit souvent des inexactitudes du procès-verbal et les faisait corriger. Les releva-t-elle toujours et ne se pouvait-il faire que souvent il lui en échappât ? Qu'on en juge par ce trait de la déposition de Jean Fabri, ou Lefebvre, religieux augustin, depuis évêque de Démétriade. Un jour que, la Pucelle étant interrogée sur ses visions, on lui lisait une de ses réponses, J. Lefebvre y reconnut une erreur de rédaction et la fit remarquer à Jeanne, qui pria le greffier de relire. Il relut, et Jeanne déclara qu'elle avait dit tout le contraire. Manchon promit de faire plus d'attention à l'avenir.

Pierre Miget ou Migiet est supérieur du prieuré de Longueville, dans le diocèse de Rouen ; confident de Cauchon et l’un de ses plus dévoués appuis. Il prit part à toutes les mesures de rigueur contre la Pucelle, à tous les votes de condamnation. Il eut l’audace inouïe de venir à la révision incriminer Cauchon, Lemaître et tout le procès de 1431, auquel il avait activement collaboré. Il donna en 1436 la mesure de sa couardise et de son hypocrisie en déclarant « qu’il avait été dénoncé au cardinal de Winchester comme partisan de Jeanne » ; de quoi, dit-il, « il avait été obligé de s’excuser dans la crainte que son corps n’encourût quelque danger » ! Le jugement de réhabilitation n’a pas un mot de blâme pour de telles lâchetés !

Nicolas de Houppeville est bachelier en théologie. Il a été menacé par Cauchon pour avoir montré quelques velléités d’indépendance, il se les fit pardonner par un effacement absolu ! Il avait protesté contre le fait que le tribunal ne tenait aucun compte du jugement porté en la faveur de la Pucelle par l’Université de Poitiers. Cauchon l’a fait jeter dans les prisons du roi Henri VI. Il n’en fut tiré que grâce aux prières de l’Abbé de Fécamp et eut alors été déporté en Angleterre sans l’intercession de ce même abbé et de quelques-uns de ses amis.
Sur le contenu du IXe article, et concernant l'âge de Jeanne, il déclare croire qu'elle avait vingt ans. Sans commentaire.

Pierre Cusquel est un laïc, habitant de Rouen, âgé de cinquante ans ou environ, juré et entendu le mardi neuvième jour du mois de mai.
Sur le IXe article, il déclare que Jeanne était jeune, âgée d'environ vingt ans, et qu'elle parlait avec prudence ; mais croit qu'elle était ignorante du droit et peu capable de répondre à tant de docteurs.
Lors de sa première déposition il déclara sur le IIIe article, croire que les Anglais cherchaient à faire mourir cette Jeanne par malveillance et déplaisir du bien qu'elle faisait. En outre, il croit que les Anglais étaient poussés, entre autres, à déshonorer le seigneur roi de France, pour avoir utilisé une femme hérétique et habile en sortilèges. Et il suppose que, si elle n'avait pas été contre les Anglais et dans l'armée, un tel procès n'aurait pas été fait contre elle.

Jean Riquier, prêtre, chapelain en l'église de Rouen et curé de l'église paroissiale d'Heudicourt, au diocèse de Rouen, âgé d'environ quarante-sept ans, témoin cité, produit, juré et interrogé. Il siégea avec le tribunal le jour du supplice, bien que n’ayant pas pris part au procès. Il témoigna lors de la réhabilitation ?
Sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare et atteste, sous serment, savoir ce qui suit : à savoir qu'il vit cette Jeanne pour la première fois lors de la prédication faite à Saint-Ouen, et une autre fois lors de la prédication faite au Vieux Marché ; c'était une jeune fille d'environ vingt ans. Elle était, croit-il, fidèle catholique, car à son dernier jour elle demanda à recevoir le sacrement de l'eucharistie, qu'elle eut. Le témoin n'a pas eu d'autre connaissance d'elle.

Le premier personnage n’est pas ce que l’on peut appeler un incorruptible ! Miget est un confident de Cauchon, qui a dirigé le procès de la Pucelle en éludant habilement les éléments tangibles de son état-civil. On ne peut rien attendre d’un tel personnage.
Le second est un personnage qui revient d’une aventure dans les prisons du roi d’Angleterre et qui n’a pas envie de renouveler l’expérience dans les prisons françaises. Il répond donc sagement au questionnaire du procès de réhabilitation.
Les deux autres sont des témoins qui n’ont en fait pas participé au procès et qui témoigne sur celui-ci !
Compte tenu des circonstances dans lesquelles le procès de réhabilitation s’est déroulé, nous rejetons ces témoignages qui ne peuvent être considérés comme librement concédés, ou venant de témoins qui n’en sont pas, ou d’un témoin dont la probité peut être mise en cause. De plus, ils contredisent des éléments officiels (les réponses de la Pucelle) que nous possédons du procès de Rouen et le témoignage d’Hauviette de Syna au procès de réhabilitation.

- Poème de Christine de Pizan : Christine de Pizan écrit le 31 juillet 1429, en l’honneur de Jeanne, un poème dans lequel elle parle d’une fillette de 16 ans. Cela nous donne la date de 1413 que nous ne pouvons prendre en considération. Nous sommes au-delà de la date de 1412 que nous considérons comme irréaliste. ( Lire en ligne " le ditié de Jeanne " )

Christine de Pizan.

Après la mort de son mari Christine prend soin de conserver toutes les relations qu'elle avait à la Cour et parmi les gens du roi qui avaient été collègues de son mari ; cette activité mondaine a préparé son succès. Christine a conquis une place dans le monde des courtisans, des savants, des hommes cultivés et des gens de pouvoir. Ses relations ne lui permettent pas d’avoir un point de vue autrement que complaisant.

Nous retiendrons les témoignages d’Hauviette, de Béroalde de Verville, de Bergame, de Sabadino Degli Arienti, de Paul Emile qui recoupent les éléments historiques en notre possession, recensés par Jean Bancal.
La crédibilité du témoignage d’Hauviette ne peut être remise en cause non plus. Celle de Béroalde de Verville ne peut être éliminer sans raison. Pour les trois autres, la source italienne des ducs de Milan, alliés de la famille d’Orléans, peut être supposée sinon identifiée, ce qui renforce notre opinion. Paul Emile est, au contraire de Bergame, un personnage sans doute très scrupuleux, habitué à considérer la valeur de ses sources ; nous retenons son témoignage d’une importance capitale, comme ayant une valeur historique certaine.
Parmi les chroniqueurs nous retenons les dates produites par Monstrelet (septembre 1407 – septembre 1408), par Chartrier le religieux de Saint-Denis ( novembre 1407 – novembre 1408 ), par Wavrin du Forestel ( septembre 1407 – septembre 1408 ). Ces dates se situe dans notre fourchette préétablit entre mai 1407 et mai 1408.
Les éléments historiques en notre possession, les témoignages oraux, les témoignages littéraires et les chroniques ne nous permettent pas à penser que la date de 1412 puisse être retenue. On peut même dire que cette date ne présente aucun intérêt historique.
Les renseignements que nous avons à la suite de nos déductions sur la vie de la Pucelle, le procès de Toul, le procès de Rouen, sont corroborés par des témoins et des chroniqueurs.
Les indications les plus précises que nous avons situent la naissance de la Pucelle dans un espace allant de mai 1407 à septembre 1407 jusqu’aux mêmes périodes de 1408.
Il est bien évident, que dans ces conditions, la naissance exacte de la Pucelle peut très bien se situer le 10 novembre 1407.

8) Les contextes de l’époque au plan sociologique, médiatique, diplomatique et politique de la rédaction des chroniques et témoignages :

Le contexte sociologique de l’époque :

Les commentateurs du procès de la Pucelle sont dans une situation précaire et dangereuse compte-tenu de l’instabilité politique régnante. Les juges et assesseurs du procès ont obtenu le 12 juin 1431 du roi d’Angleterre, des lettres de garantie absolue, qui les mettaient à l’abri de toutes les représailles possibles, en ce qui concerne la Couronne Anglaise. Cependant, si le procès est mené par l’Inquisition, le « service d’ordre » est Anglais.
Michel Lamy rapporte dans son excellent livre que Richard du Grouchet, chanoine de la collégiale de La Saussaye au diocèse d’Evreux, qui avait été assesseur au procès de condamnation, déclara à celui de réhabilitation :
« Il me semble qu’une partie de ceux qui assistaient au procès le faisaient volontairement et en esprit de parti, les autres étaient forcés malgré eux et montraient beaucoup de crainte ; parmi eux, quelques-uns s’enfuirent, ne voulant pas y être présents : entre autres maître Nicolas de Houppeville fut en grand danger. De même, Jean Pigache et Pierre Minier à ce qu’ils m’ont dit ; et moi-même qui était avec eux nous ne donnâmes notre opinion et n’assistâmes au procès que par crainte, menaces et terreurs, et nous avions l’idée de nous enfuir ; j’ai entendu souvent de la bouche de maître Pierre Maurice que, comme il l’avait avertie, lors de la première prédication, de s’en tenir à son bon propos, les Anglais furent mécontents et il fut en grand danger d’être battu, à ce qu’il disait »
.
Les Anglais imposaient avec une certaine vigueur le respect des termes du procès de condamnation de la Pucelle dans les territoires qui leurs étaient soumis.
Jean Massieu, doyen de la chrétienté de Rouen, chargé des fonctions d’huissier ou appariteur au procès de Rouen, est blâmé par Warwick et menacé d’être noyé par Cauchon pour avoir dit de l’accusée « jusques ici je n’ai vu que bien et honneur chez elle » .
Sans le notaire Manchon « il ne s’en fut oncques échappé ».
Il était également bien évident que la chose jugée par l’Inquisition ne souffrait pas d’être remise en cause, ni simplement critiquée. Le dominicain Jean Bosquier, qui avait hasardé quelques réflexions sur le procès et sur la sentence de Jeanne, fut condamné à l’amende honorable publique et à dix mois de prison conventuelle, au pain et à l’eau.
Une femme qui avait déclaré considérer Jeanne comme une sainte fut arrêtée à Paris et brûlée, sans autre forme de procès, avant même la condamnation de la Pucelle.
Un jeune prêtre visionnaire, soutenu par Regnault de Chartres (archevêque de Reims, pair de France sous Charles VI, chancelier de France et cardinal sous Charles VII), se verra coudre dans un sac et jeter en Seine, sans autre forme de procès.

Certains juges du procès de la Pucelle, et pas des moindres, ont eu des destinées qui interpellent notre sens de l’observation. L’évêque Cauchon mourut en 1442, la gorge tranchée pendant qu’on lui faisait la barbe. Philibert de Saintigny ou de Montjeu, évêque de Coutances, très vindicatif contre la Pucelle, mourut subitement l’année même du jugement dans une ambassade en Bohême. Nicolas le Roux mourut le 16 juillet 1431, six semaines après le prétendu supplice de Jeanne. Nicolas Loiseleur s’enfuit à Bâle après le supplice et mourut subitement.
Jean d’Estivet, nommé procureur général ou promoteur du procès, est trouvé noyé dans un bourbier, quelque temps après le jugement. Jean de La Fontaine, nommé commissaire et examinateur, disparait au cours du procès.
Quant à Jean Le Maistre, l’inquisiteur, son absence est plus que remarquée. Jacques Guérillon nout dit qu’il s’est volatilisé !
S’agit-il là de représailles de la part du parti du roi Charles et de ses partisans ?

Il y a aussi un autre cas comme l’indique l’excellent historien Edouard Schneider. La déposition du duc d’Alençon, au procès de réhabilitation, n’est sans doute pas conforme à la thèse royale, et le roi Charles le fait arrêter pour haute trahison quinze jours après. Le procès-verbal de son témoignage n’est évidemment pas publié.
Les états de service du duc sont brillants. En 1429, il rejoint l'armée de Jeanne d'Arc qu'il rencontre à Chinon. Il devient un des amis proches de la Pucelle qui le surnomme le « gentil duc ». Il l'accompagne dans ses campagnes, et notamment au siège d'Orléans. Par la suite Alençon est nommé lieutenant-général du roi et combat sur la Loire aux côtés de Jeanne. Le 12 juin 1429, il remporte la victoire de Jargeau et prend la ville, où s'était réfugié le Comte de Suffolk. Il contribue aussi au succès de Patay. Il participe en juillet à la marche sur Reims, puis le 17 juillet, arme Charles VII chevalier avant d'assister à son sacre. Le duc est en conflit d’intérêt avec le roi, à propos de ses territoires, mais son témoignage au procès de réhabilitation décide sans doute de son arrestation.
C’est la raison d’Etat du royaume que le duc doit respecter, et ses bavardages sont dangereux.
Le procès du duc d’Alençon, en 1458, constitue un des grands moments de l’histoire politique du règne de Charles VII, et une étape importante de l’affirmation de la majesté royale du prince.

Le procès du Duc d'Alençon

Le 10 octobre 1458, le duc est condamné à mort et son duché est confisqué. Toutefois Charles VII le gracie, car il est prince du sang, et permet à la duchesse Marie de conserver le comté du Perche.

Une autre déposition est significative de l’état d’esprit au moment du procès de réhabilitation. C’est la déposition du frère Pasquerel, le confesseur de Jeanne, qui a été à ses côtés pendant deux ans et qui ose affirmer :
« Le roi et le duc d’Alençon savent certaines choses secrètes qu’ils pourraient révéler s’il leur plaisait. »
Il s’agit évidemment du secret de la naissance de la Pucelle. Cette affirmation matérialise le contexte sociologique de l’époque. Tout le monde se tait !

Un texte du moine Augustin Philippe de Bergame montre l’état d’esprit à l’époque de la réhabilitation :

« Le roi Louis XI succédant à son père, très affecté qu'une si indigne mort eût été infligée à une vierge si magnanime, obtint, dit-on, du pontife romain Pie II, que deux jurisconsultes fussent envoyés en France pour revoir soigneusement la cause, et informer sur la vie de la victime. Dès leur arrivée, ils citèrent deux faux conseillers, et des juges qui vivaient encore. La cause soigneusement examinée, il leur fut manifeste que l'on avait condamné une femme très innocente ; que tout ce qu'on lui avait imputé était controuvé, notamment les inculpations de maléfice et de magie ; bien plus, que toute sa vie était en parfait accord avec ses grands exploits, et qu'elle n'avait jamais rien fait dont la religion pût être offensée. C'est pourquoi on infligea aux deux accusés le supplice que longtemps avant ils avaient sentencié contre la très innocente vierge. On ordonna que les ossements de deux autres juges tirés du sépulcre seraient livrés aux flammes, en ce qu'il fut ordonné qu'on bâtirait une église, à la place où cette courageuse vierge avait été brûlée. Du reste des biens des condamnés confisqués et vendus, une messe quotidienne fut fondée à l'honneur de Dieu, et pour l'âme de la défunte. »

La réhabilitation a eu lieu sous Charles VII. Louis XI y est-il revenu pour punir les coupables, et ajouter à la réparation ?
L’Abbé Dubois remarque sur les comptes de la ville d'Orléans en 1470.

« Payé 36 sous à Estienne Chartier, varlai de la ville, pour un véage par lui fait d'Orléans à Paris, par l'ordonnance des procureurs de ladite ville, pour porter de par eulx lettres missives à Jehan Compaing, l'un desdits procureurs, estant lors en la ville de Paris, pour le fait du procès de la Pucelle, qui vint au siège d'Orléans ; auquel véage il a vaqué par 4 jours au commencement du mois d'avril 1469, avant Pâques, »

Par conséquent en 1470 en calendrier Grégorien ( Ms. de l'abbé Dubois, III p. 57 ).

Le contexte sociologique de l’époque est lourd. L'hérésie n'est pas seulement affaire de doctrine : elle est vue comme un crime global contre Dieu, les princes, la société, ce qui alors revient au même. Étant une rupture du lien social, la lutte contre l'hérésie est une question d'ordre public. Les princes sont donc intéressés par sa répression à plusieurs titres, et l'autorité civile, pour préserver l'ordre public, se met à lutter contre elle et sanctionner des hérétiques de manière potentiellement autonome. Cette confusion entre domaines spirituel et temporel est assez générale, en Europe, au XIIIe siècle.
Cette implication des autorités laïques entre en conflit avec l'autorité de l'Église : des tribunaux royaux ou impériaux se prononcent sur des problèmes de doctrine. Ce conflit de juridiction est tranché par l’arrangement de Vérone (1148): « les hérétiques doivent être jugés par l'Église avant d'être remis au bras séculier ». Inversement, l'Église oblige les autorités « laïques » (dont la légitimité se fonde sur un modèle de société chrétienne) à rechercher les hérétiques, sous peine d'excommunication ou de déposition.
Dès le début, l'Inquisition est donc fondée sur le principe de la collaboration et du partage des tâches entre l'Église et les autorités laïques, chacun intervenant dans son domaine et suivant sa responsabilité propre.

En ce qui concerne le procès en réhabilitation de la Pucelle le roi Charles VII procède de même que son homologue Anglais, en ce qui concerne les témoins, avec des lettres d’abolitions. Il n’en demeure pas moins que la pression sur les témoins est importante car les témoignages sont encadrés dans des questionnaires préparés par les juges.

Ces affaires furent comprises par les juges et les témoins qui auraient pu être tentés d’imprudences, d’indiscrétions ou de considérations déplacées, en regard de tous les évènements qui concernent la Pucelle. Tous les commentateurs éventuels et les rédacteurs des chroniques prendront évidemment du recul sur le sujet.
C’est la peur de l’Inquisition et des autorités civiles et, plus généralement, des aléas de la politique des monarchies, Anglaise et Française, qui imposent le silence. Pour les juges, assesseurs, témoins et chroniqueurs, l’instabilité politique issue de la guerre et des combats se double donc d’une certaine crainte de représailles.

Dans les procès de la Pucelle ( condamnation et réhabilitation ), les rois d’Angleterre et de France délivrent des lettres d’abolitions, alors qu’il s’agit de procédures d’Eglise relevant du droit canonique. Ses lettres sont sans doute nécessaires pour apaiser les craintes et la peur des représailles des pouvoirs civils, nonobstant celles de l’Eglise par l’intermédiaire de l’Inquisition.
Nous observons que le contexte sociologique de l’époque est protecteur en ce qui concerne le secret de la naissance de la Pucelle.

Le contexte médiatique de l’époque

L’arrivée de Jeanne d’Arc dans la vallée de la Loire se produit dans un fort contexte prophétique. Dès mars 1429, un mois après sa venue à Chinon, la chancellerie royale et l’entourage clérical du roi comprennent qu’ils doivent défendre la personnalité de la jeune fille contre les attaques et critiques que sa mission suscite, même dans leur propre camp. Gérard Machet, confesseur du roi, rassemble rapidement des recueils de prophéties, colportées dans le royaume, et tente d’en orienter l’interprétation en faveur de Jeanne. On rédige aussi le poème Virgo puellares que l’on diffuse afin de s’assurer le soutien des lettrés : « Une vierge délicate vêtue de vêtements d’homme, par un ordre de Dieu, s’empresse de relever le roi des fleurs de lys couché et surtout de détruire ses ennemis maudits, ceux qui maintenant sont devant la ville d’Orléans, qu’ils épouvantent par un siège ».
La suite du poème annonce la fin de la guerre et le départ des Anglais. Entre 1429 et 1435, il est recopié dans le Brabant, à Leipzig par le dominicain Hermann Cornerius, et à Mayence dans la chronique du clerc Éberhard Windecke. Dans le même but, Jean Girard, serviteur de Charles VII, lieutenant général du Dauphiné et proche de Gérard Machet, rédige vers mars-avril 1429 un court portrait de Jeanne d’Arc. Il la décrit comme Lorraine, gardant les moutons, chaste, sobre, pieuse, proche des animaux, et la compare aux femmes bibliques Esther, Déborah et Judith. Jean Girard accompagne ce portrait apologétique du dossier prophétique, de la conclusion des docteurs de Poitiers et de la lettre aux Anglais dictée par Jeanne, puis envoie le tout dans le royaume et au-delà. En quelques semaines,
des traces de ce dossier se retrouvent dans un grand nombre de sources : dans le Val de Loire, en Bretagne, dans le Brabant, à Spire, à Leipzig, à Venise dans une lettre de Pancrazio à son père datée du 9 juillet, à Rome dans le Brevarium historiale rédigé à la cour du pape Martin V. Même l’ennemi en recopie des détails retournés à charge contre Jeanne.
La chancellerie tente de toute évidence de construire l’opinion, ce qu’elle parvient à faire avec une grande rapidité. Le dossier apologétique transitant par les réseaux diplomatiques, les princes proches du roi et les marchands. Ne pouvant se contenter de ces quelques éléments défensifs en faveur de Jeanne, la cour veut un argumentaire plus complet, de nature théologique, propice à rassurer les clercs dubitatifs.
A la demande de Jean Girard, dont il est un ami, le juriste et théologien Jacques Gélu, archevêque d’Embrun, est sollicité. Lui aussi est destinataire du dossier johannique au mois de mai. Dès juin 1429, quelques semaines après la victoire d’Orléans et de Patay, il envoie à Charles VII le résultat de cette consultation sous forme d’un court traité d’une vingtaine de pages intitulé « De la venue de Jeanne ».
Lui aussi cloporte la rumeur : « les merveilles de Jeanne ne cessent de retentir à toutes les oreilles, et j’ai entendu que les savants avaient différentes opinions à son sujet ».
La rapidité d’exécution de l’œuvre illustre la participation active de certains lettrés à la propagande royale, et leur tentative, à la demande du pouvoir, de convaincre les clercs du royaume de la justesse du combat de Jeanne.
La légende sur Jeanne d’Arc s’appuie entre mars et mai 1429 sur quelques faits connus et banals. C’est une pucelle, elle porte bannière et veut libérer Orléans. Les détails originaux sont rares. À partir de juin, les informations sont plus nombreuses, leur propagation touche tout l’ouest de l’Europe, mais elles sont aussi d’une grande homogénéité dans les sources, signe d’une uniformisation facilitée par la diffusion du dossier apologétique composé dans l’entourage royal. Les vecteurs de l’opinion publique sont les sermons des prêtres, les cérémonies religieuses, les correspondances entre membres des mêmes réseaux sociaux et géographiques, la circulation des marchands et des aristocrates. Finalement, la rue est loin d’être l’unique lieu du « bruit ».
Hostiles ou partisans de la Pucelle, tout le monde parle d’elle et colporte les mêmes détails, seule varie l’interprétation. A Paris, l’opinion populaire est dubitative, mais moins hostile que le clergé et les lettrés, plus politisés, qui tentent d’encadrer l’opinion par les rituels collectifs et des spectacles publics, dont le bûcher est le plus emblématique. Dans un climat de ferveur religieuse, l’homme de la rue s’intéresse à la jeune fille car elle participe d’une atmosphère inquiète, superstitieuse. L’opinion européenne semble rapidement acquise à la Pucelle, en partie grâce au travail de propagande de la cour de Chinon. Cependant, une fois lancée, la rumeur échappe à tout contrôle, débordant parfois dans le fantasme ou la révolte populaire. Comme dans les sociétés modernes, la guerre est un exercice médiatique. ( cf. Olivier Hanne. Légende et rumeur publique du vivant de Jeanne d'Arc. Jeanne d'Arc et la guerre de cent ans, SOTECA Groupe Hommel, 2013 Lire en ligne ).
Le texte précité montre que la Cour de Chinon est à l’origine d’une construction de l’opinion en ce qui concerne l’appréciation que les contemporains ont pu avoir sur Jeanne. C’est la propagande et la partie visible de ce que nous appelons l’opération Bergère (voir notre article sur le site). Anglais et Français en guerre ont utilisé les moyens médiatiques, dans les limites de leurs diplomatie, pour soutenir leurs intérêts.

Les Anglais ne contrôlent pas la procédure inquisitoriale du procès de 1431 mais contrôlent l’usage qui peut être fait du procès sur le plan politique, et donc les médias autour du procès. Notre grand historien André Cherpillod note que :
« la Cour d’Angleterre n’utilisa pas la conclusion du procès de 1431, qui lui aurait pourtant permis de déclarer hautement l’illégitimité du sacre de Reims. On craignait probablement que fût découverte la parenté de Charles VII avec la Pucelle, ce qui aurait jeté la suspicion sur la légitimité du roi de France, ainsi que sur celle de sa sœur Catherine de France, mère d’Henri VI, roi d’Angleterre ».
L’Angleterre n’utilise pas les avantages politiques qu’elle pouvait tirer du procès et son plan médiatique s’adapte à sa diplomatie. C’est le silence remarqué sur le plan politique et diplomatique. C’est une preuve de plus que la Pucelle est une princesse royale, et non pas une bergère issue d’une famille modeste de province.

Le détail de l’ensemble du procès n’étaient connus que de ceux qui avaient tout intérêt à ne pas en faire part au public pour des raisons politiques ! Le procès de la Pucelle est sous le contrôle médiatique d’état du royaume d’Angleterre. L’état-civil de la Pucelle n’est pas discuté, sous peine d’encourir les foudres des monarchies anglaise et française, pour des raisons dynastiques et politiques de la plus haute importance. Nous verrons cela dans le contexte politique de l’époque.

Sur le plan de la circulation de l’information, les populations et les chroniqueurs sont au fait des évènements de 1431 par la harangue de l’Inquisiteur de France. Le pape, les cours princières et les dignitaires de l’Eglise sont informés par L’Université de Paris et par le roi Henry VI, à savoir :

L’acte public de l’Inquisiteur général Jean Graverent qui prit la peine, en personne, de proclamer à Paris le supplice de Jeanne au cours de la procession générale, ordonnée le 4 juillet 1431. La fête de la Saint Martin, très populaire en France, jouissait alors d’une double solemnité : l’une au 4 juillet, l’autre au 11 novembre.
La première s’appelait la Saint Martin d’été et attirait à Paris, en l’église Saint Martin des Champs, un grand concours populaire. Les Anglais profitèrent de cette circonstance favorable pour faire prescrire une procession solennelle, à l’issue de laquelle l’Inquisiteur de France, le plus haut représentant de la foi et de la doctrine de l’Eglise, assuma lui-même la charge d’expliquer et de commenter au peuple les crimes de Jeanne et le juste châtiment qu’elle avait encouru. Il termina sa harangue par une chaleureuse exhortation à se défier des imposteurs et à garder la fermeté dans la foi et dans la soumission que devaient à Henri VI de loyaux serviteurs et de fidèles sujets. C’est par l’Inquisiteur que l’Eglise affirmait une fois de plus ses raisons de condamner la Pucelle et les raisons qu’il y avait de se ranger à son avis. Graverent était très dévoué à la cause de l’Université et, sans exagérer la thèse de Siméon Luce, il semble bien, qu’en prenant fait et cause pour Jeanne d’Arc, il n’ait pas été fâché de jouer un tour aux Frères mineurs. Dans le sermon qu’il prononça, ce 4 juillet 1431, il accusa le frère Richard d’avoir été l’instigateur de quatre femmes visionnaires : la Pucelle, Péronne et sa compagne (la Bretonne Perinnaïc) et Catherine de la Rochelle : « Il disoit que ces quatre femmes, frère Richard le cordelier, qui après luy avoit si grande suitte quand il prescha à Paris aux Innocens et ailleurs, les avoit toutes ainsi gouvernées, car il estoit leur beau-père (c’est-à-dire père d’affection). » Bourgeois de Paris, édition Tuetey (p. 210).

L’acte officiel de l’Université de Paris, notifiant au Pape la condamnation et le supplice de Jeanne, et répétant cette notification aux cardinaux. Nous en possédons le texte inséré au procès par Cauchon.

L’acte officiel d’Henri VI, notifiant la même chose que précédemment, à l’empereur, aux rois, aux ducs et autres princes de la chrétienté. Le texte est également inséré au procès de Cauchon. On comprend pourquoi les chroniqueurs Buonicontro, Bergame et Sabadino Degli Arienti sont si bien au fait des affaires françaises.

L’acte officiel d’Henri VI du 8 juin 1431, notifiant la même chose que précédemment, aux prélats, ducs, comtes et autres nobles et aux cités de son royaume de France. Ce texte est également inséré au procès. Les évêques furent sollicités d’employer toute leur autorité à éclairer les populations sur la vie de la Pucelle et sur la justice du châtiment qui l’avait légitimement châtiée. Dans toutes les églises soumises à leur juridiction, publication fut faite de la relation du procès, rédigée par la chancellerie royale.

Nous faisons un certain nombre d’observations pour commenter les communications officielles précitées. Nul ne peut ignorer le sort qui a été réservé à la Pucelle, aussi bien dans les chancelleries européennes, papauté et curie romaine comprise, qu’au niveau des paroisses dans les provinces contrôlées par les Anglais et dans beaucoup d’autres paroisses françaises par de nombreux canaux ( le tiers-ordre franciscain en particulie ).
Ces communications sont des informations diplomatiques qui ont un caractère officiel pour les chancelleries européennes. C’est la raison pour laquelle nous trouverons des chroniqueurs italiens au fait des évènements survenus à Rouen.
Cela étant, aucune allusion n’est faite dans ces actes à la véritable identité de la Pucelle, ni à sa date de naissance. La divulgation de ces actes diplomatiques aux tiers, chroniqueurs et autres observateurs, si cette éventualité est plausible, ne leur permet pas de fixer la date de naissance de la Pucelle.

Toutes les communications officielles de l’Inquisiteur, de l’Université de Paris, ainsi que celles d’Henri VI d’Angleterre ont pour but essentiel de disqualifier le roi Charles VI. Sa légitimité est remise en cause par le jugement de Rouen à l’encontre de la Pucelle.
En l’absence des renseignements essentiels comme les pièces des différents procès, qui ne sont pas dans le domaine public, les témoins et chroniqueurs ne peuvent fixer exactement la date de naissance de la Pucelle. L’identité de cette dernière n’est pas non plus discutée par les observateurs, par les chroniqueurs qui, sont souvent des obligés du roi et des princes qui gouvernent.

Le contexte diplomatique de l’époque :

Un facteur familial entrave le développement de la stratégie diplomatique du roi car, sa sœur la Pucelle est toujours vivante, et a été reconnue par un certain nombre de personnes, y compris par des membres de cours étrangères et un ecclésiastique de l’Inquisition en Allemagne. C’est sous le nom de dame des Armoises que la Pucelle continue sa vie après quelques années de réclusion.

Le portrait de Jeanne des Armoises à Jaulny.

La mort de Jeanne intervient en 1449 et, le roi Charles peut développer une politique de réparation au profit de la Couronne. Dans ces circonstances la diplomatie s’active et le roi donne le 15 février 1450 une lettre de Commission, pour l’ouverture d’une enquête informative privée, à l’un de ses conseillers Guillaume Bouillé. Cet universitaire dominicain reçut ainsi des pouvoirs étendus, y compris ceux de confisquer les pièces détenues indûment par les personnes interrogées lors du procès de 1431.
Le premier mémoire écrit contre la validité du jugement de Pierre Cauchon, est de lui. On trouvera un extrait de cet ouvrage au chap. VIII de la procédure, et l'on verra, d'après le préambule, qu'il a dû être composé avant la délivrance des pouvoirs énoncés dans la commission.
Dans son mémoire, Guillaume Bouillé écrit : « Pour l’honneur du roi très chrétien, il ne faut pas passer sous silence une sentence inique, scandaleuse et déshonorante pour la couronne royale. Quelle tache souillerait le trône royal, si nos adversaires persuadaient à la postérité que le Roi de France a recueilli dans son armée une hérétique, invocatrice du démon… ». Nous constatons que l’auteur de ces lignes est bien informé des problèmes dynastiques et politiques que rencontrent le roi Charles, et qu’il prend le parti de le défendre.
Au terme de son enquête, Bouillé le dominicain comprit qu’il ne pouvait verser au dossier de la révision ses interrogatoires sans compromettre les relations du roi avec l’Eglise et, en particulier, avec l’Université de Paris. Bouillé rédigea à partir d’eux un mémoire plus présentable, comme l’avait été celui du notaire Manchon en 1431.

Pour sauver l’honneur des Lys qui se trouvaient entachés de l’hérésie, apportée par la condamnation de la Pucelle, il faut que le pape ordonne la révision du procès mené par l’Inquisition. C’est la seule solution politique envisageable et cela devient un challenge diplomatique. Pour cela, le roi va déployer des moyens très pertinents. Dans la période qui a précédé le procès de réhabilitation, le Cardinal d’Estouteville est envoyé par le Pape Nicolas V, comme légat en France, pour négocier la paix avec l’Angleterre. Celui-ci reçoit également la double mission d’obtenir du roi, contre l’Université de Paris, une réforme qui diminue sa puissance, et la suppression de la Pragmatique Sanction. Le cardinal ne réussira pas ce second effort : la Pragmatique Sanction ne sera supprimée que plus tard, et dans les mots plus que dans les réalités, par Louis XI. Charles, cependant, est de meilleure composition contre l’Université, on peut le comprendre, et se fait du Cardinal d’Estouteville un allié. L’Université a été cependant, il faut le dire, la première institution à se rallier, après le Traité de Troyes, au roi Anglais.
Les effets de la Pragmatique Sanction ruinait la fiscalité pontificale. Les lois ecclésiastiques traitaient les religieux de tous les ordres mendiants, sans distinction, comme incapables de posséder aucun bénéfice, et elles maintenaient cette incapacité, même lorsque ces religieux passaient à d'autres ordres. Une dispense du pape pouvait les en relever ; mais une déclaration de Charles VII de 1443, constamment appliquée par les parlements, statuait que cette dispense était nulle dans le royaume et abusive, si elle n'avait pas été approuvée par lettres patentes du roi. Lorsque cette approbation était accordée, elle était ordinairement limitée à un seul bénéfice ou même à une seule pension. Il y avait donc matière à négociation entre les deux partis.
D’Estouteville essaie de faire accorder au roi Charles la réhabilitation de Jeanne en contrepartie de mesures d’assouplissement des mesures de la pragmatique sanction.
Le pape Nicolas V refuse, naturellement, de déclarer que l’Eglise, s’est trompée. Il sait trop, d’ailleurs, qu’elle ne s’est pas trompée en affirmant l’hérésie de Jeanne. Mais, outre que cela ennuyait fort le pape de consentir à découvrir les fautes commises par le tribunal de la Sainte-Inquisition ; il ne voulait pas non plus mécontenter les Anglais qui le finançaient largement.

La prise de Constantinople.

En 1453, les Turcs prennent Constantinople. Le pape a une troisième requête à faire valoir auprès de Charles, plus importante que la réforme de l’Université de Paris, ou la suppression même de la Pragmatique Sanction : une croisade contre les Turcs. Nul autre prince ne peut se mettre utilement à la tête d’une telle expédition. Les Anglais, pour le moment ne comptent pas, vaincus et en pleine guerre civile, le pape intervient donc auprès du roi Charles, qui se trouve donc en bonne position pour négocier.
Or, si les Français demandaient la révision du procès de la Pucelle, les Anglais s’y opposaient, et le Pape Nicolas V, pour ne fâcher personne, se taisait. Il se tut pendant trois ans, et le temps semblait, sans doute, bien long à Charles. Le Pape Nicolas V meurt, avant d’avoir définitivement sacrifié sa dignité sacerdotale, ou l’intérêt de l’Eglise. Son successeur, Calixte III, un Borgia, qui n’a pas les mêmes scrupules, donne enfin l’autorisation nécessaire, ce qui fait avancer d’un bond la diplomatie du roi Charles VII.

Le Procès de Réhabilitation de la Pucelle s’ouvre néanmoins sur les conditions initiales imposées par Nicolas V, à savoir, que c’est la famille nourricière de la Pucelle, la famille du Lys, qui doit faire la demande d’ouverture de la procédure, et non pas le roi. La famille nourricière de Jeanne devient ainsi sa famille officielle !

La requête de la famille nourricière de Jeanne.

L’Eglise ne veut pas reconnaitre l’origine doublement adultérine de la Pucelle, pour des raisons théologiques, et sa parenté avec Charles VII pour des raisons politiques (la protection des dynasties catholiques). On reste sur la ligne du procès de Rouen, procès mené par l’Inquisition, dans lequel l’identité de la condamnée n’est pas clairement établie. Ce procès religieux ne fait pas allusion à la naissance et au baptême de la Pucelle, entre autres éléments sans doute nécessaires pour les juges d’un procès d’Eglise, ou pour toute autre procédure à cette époque.
Au Moyen-âge, le droit romain s’impose au sein de l’Eglise catholique. La sexualité n’est acceptée qu’au sein d’une union matrimoniale et dans le but de procréer. Dès lors, les naissances extraconjugales révèlent, aux yeux de tous, un adultère. La misogynie des traités de théologie morale des XIVe et XVe siècles est féroce ; la persécution contre les « sorcières » fait des dizaines de milliers de victimes. Blanchir une femme adultérine, « enfant du péché » déclarée hérétique par un tribunal d’Eglise, est à l’époque un exercice qui ne peut satisfaire la papauté.

Pour l’Eglise les problèmes théologique et politique trouvent leur solution : Jeanne, devient la fille de la famille du Lys. Elle deviendra Jeanne d’Arc, par allusion au titre des du Lys, dont la branche aînée porte le titre de chevalier d’Arc.
Jeanne a été qualifiée de « pucelle » par ses contemporains. Par exemple, Aubert d’Ourches, ancien compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, interrogé à l’occasion du procès en réhabilitation de cette dernière à Toul le 5 février 1456, la qualifie de « Pucelle » à plusieurs reprises. Mais ce qualificatif n’est pas un nom !
Jeanne d’Arc a été aussi surnommée la « Pucelle d'Orléans » pour la première fois en 1555 par François de Billon, dans son ouvrage Le Fort inexpugnable de l'honneur du sexe féminin. Le terme Pucelle d’Orléans est donc postérieur à l’intervention de Jeanne, comme on pouvait s’en douter, et fait sans doute allusion à la libération de la ville du même nom, plutôt qu’à la famille d’Orléans.

Pape et antipape nomment des cardinaux. L'antipape Félix V crée cardinal Thomas de Courcelles lors du consistoire du 6 avril 1444, mais il décline la promotion. Il va à Rome, pour être près du pape Nicolas V, qui mit fin au schisme de l’antipape Félix V. Il est nommé chanoine, plénipotentiaire et doyen de la cathédrale de Paris. Il est recteur de l'Université de Paris en 1430. Lors du procès de Jeanne d'Arc à Rouen, il passe pour l'un des plus acharnés. Il fut l'un des rares à voter la torture et travailla au réquisitoire. Plus tard, chargé de mettre en forme le procès et de le traduire en latin, il effaça son nom des votes compromettants.
Interrogé lors du procès en réhabilitation de Jeanne d'Arc en 1455, il déclara : Je ne sais rien, je ne me souviens plus... Je n'ai jamais dit positivement qu'elle était hérétique... Je n'ai jamais délibéré au sujet d'un châtiment à infliger à Jeanne d'Arc.
Malgré son implication dans le procès de Jeanne d'Arc, il sera un conseiller écouté par Charles VII et prononcera l'oraison funèbre du roi en 1461. Aucune rancune de la part du roi à l’encontre de ce prélat, qui facilite les affaires du royaume avec la papauté. Aucune rancune à l’encontre de ce prélat car le roi sait bien que la Pucelle ne pouvait subir la question et le supplice de la mort.
Deux autres cardinaux sont nommés par Eugène IV : Regnault de Chartres, archevêque de Reims, sur l’instance du roi Charles et Guillaume d'Estouteville, évêque d’Angers, deviendra archevêque de Rouen, également sur l’instance du roi Charles.

La diplomatie est l’émanations des politiques menées par tous les intervenants dans la période qui nous intéresse. La condamnation de la Pucelle par le tribunal de l’Inquisition est le moteur qui active la diplomatie française. Le roi est dans la nécessité d’engager une grande négociation avec la papauté pour effacer les conséquences du jugement de Rouen et préserver la Couronne.
le Cardinal d’Estouteville, légat du pape en France, envoyé pour négocier la paix avec l’Angleterre, reçoit également la double mission d’obtenir du roi, contre l’Université de Paris, une réforme qui diminue sa puissance, et la suppression de la Pragmatique Sanction.
La diplomatie du pape trouve un agrément auprès du roi Charles, sauf pour le règlement de la Pragmatique Sanction, qui cause problème.
L’identité et la date de naissance de la Pucelle ne faisant pas l’objet d’un contrôle judiciaire stricte publié, aussi bien dans le procès de Rouen que dans celui de réhabilitation, de même que dans les autres procès d’Eglise, les diplomates négocient au mieux de leurs intérêts, sans aucune entrave. La famille du Lys désignée par l’Eglise pour solliciter l’ouverture du procès de réhabilitation devient officiellement la famille de la Pucelle.

Le contexte politique de l’époque :

Un élément important de politique intérieure est le fait que le Cardinal d’Estouteville est un ennemi de l’Université de Paris, dont il vient, en 1452, d’obtenir une première réforme, c’est-à-dire une première limitation de ses pouvoirs.
Jean Bréhal, le grand Inquisiteur du procès de réhabilitation, est un dominicain, et la lutte entre l’Université et les Frères mendiants est extrêmement vive : l’Université leur refuse, ce à quoi, ils tiennent beaucoup, le droit de confesser.
En 1457, Jean Bréal, soutenu par la puissance militaire du connétable de Richemont, viendra imposer définitivement à l’Université de Paris la victoire des Frères mendiants.
Entre ces deux défaites de l’Université, on multiplie les manœuvres contre elle. Le procès de réhabilitation, pour Jean Bréhal, est aussi une manœuvre contre l’Université de Paris, qui était en première ligne lors du procès de Rouen. Pour le Cardinal d’Estouteville, c’est une aubaine, et en plus, c’est une façon de servir le roi. Pour les autres, c’est une occasion de montrer leur zèle au service du roi. Tout cela facilite la procédure de réhabilitation et favorise les ambitions politiques du roi.

Fin politique, Charles VII réussit ce que Philippe le Bel a vainement tenté de réaliser. Bien que se référant à Rome, l'Église de France acquiert une grande autonomie. Le roi s'assure ainsi la loyauté du clergé français.
Au vu des désordres générés par la répétition des conciles, Charles VII décide d'organiser l'Église de France à sa manière, en se référant aux réformes entérinées au concile de Bâle. Le 7 juillet 1438, le roi promulgue la Pragmatique Sanction de Bourges. Cette dernière est une ordonnance qui fut débattue dans le chapitre de la Sainte-Chapelle de Bourges, et promulguée par le roi de France Charles VII, avec l'accord du clergé réuni en assemblée à Bourges. Le roi s'affirme comme le gardien des droits de l'Église de France. Cet acte fut le premier pas vers le gallicanisme, renforcé par le concordat de Bologne de 1516.
Cette ordonnance reprend, avec quelques modifications, une vingtaine de décrets pris par le concile, dans l'esprit duquel elle s'inscrit, et donne un statut particulier à l'Église de France. Elle constitue, en quelque sorte, une alliance entre le souverain et le clergé, limite les prérogatives du pape, en réaffirmant la suprématie des conciles, qui ont clairement défini les pouvoirs du Saint Siège.

Cependant, la Pragmatique Sanction est inacceptable pour le pape, malgré le soutien apporté par Charles VII à Eugène IV contre l'antipape élu par les irréductibles de Bâle. Le premier article sur la prééminence des conciles est, à ses yeux, rédhibitoire. Privé de précieux revenus, le Saint-Siège demande l'abrogation de la Pragmatique Sanction, ou du moins que celle-ci soit sérieusement amendée.
On entame des discussions interminables. La Pragmatique Sanction est acceptée par le clergé français et par la plupart des parlements, à l'exception de ceux de Bretagne et de Bourgogne…

Le roi Charles VII et le pape Eugène IV

Sur le plan dynastique la situation est favorable aux entreprises du roi car les princes français et étrangers sont obligés de conserver le silence sur l’état-civil de Jeanne.
La Pucelle, princesse d’Orléans, née le 10 novembre 1407, est une princesse dont la famille est installée dans les cours européennes. Elle est la sœur de Charles VII, car ils ont le même père et la même mère, Louis d’Orléans et Isabau de Bavière (voir notre article l’Opération Bergère). Jeanne est la demi-sœur de Catherine, fille de Charles VI, épouse d’Henri V, roi d'Angleterre, en exécution des dispositions du traité de Troyes. Cette Catherine est la mère du roi d'Angleterre Henri VI (1421-1471). La Pucelle est ainsi la tante d’Henri VI, roi de France et d’Angleterre.
La Pucelle est également la demi-sœur de Michelle, fille de Charles VI, épouse de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Par son père Louis d’Orléans la Pucelle est également la demi-sœur du duc Charles d’Orléans, prisonnier depuis Azincourt, et de Dunois, le célèbre bâtard d’Orléans, son compagnon de combat.
Jeanne est la demi-sœur de Dunois, bâtard d’Orléans, ainsi que la cousine d’Anne de Bedford, elle-même fille de Jean Sans Peur. Elle est également la tante de Jehan, duc d’Alençon par alliance.
Descendante en ligne directe des rois de France et des ducs de Bavière, la Pucelle est donc très proche par le sang de tous ceux qui portent un grand nom en Occident ; le duc d’Alençon est son cousin, la duchesse de Luxembourg sa tante et le petit roi d’Angleterre Henri VI, qui prétend au royaume de France, est son neveu !
En regard de tous ces liens familiaux, les familles régnantes se ménagent sur le plan politique. L’Inquisition fait son office en condamnant la Pucelle, ce qui profite à la politique de l’Angleterre, mais cette dernière ne peut abattre toutes les cartes sans mettre en danger sa propre dynastie.
A l’époque, une suspicion publique diffuse dans les cours princières, met en doute la légitimité du dauphin, qui est cantonné dans son rôle de « roi de Bourges ». Nous avons vu dans notre article sur ce site « Opération bergère » que le roi Charles ne pouvait pas être le fils de Charles VI, car pendant sa conception le roi était dans une période d’indisponibilité due à sa maladie.
Cette suspicion est discrètement évoquée en Angleterre, s’agissant de Catherine l’épouse d’Henri V.
Le meilleur moyen pour les Anglais de protéger la réputation, sinon la légitimité, de leur propre dynastie est de taire la véritable identité de la Pucelle.
Il en va de même de la Pucelle qui a tout intérêt à taire sa véritable filiation pour protéger la légitimité du roi, son frère, et de tous les princes de sa famille.
Le roi Charles VII n’interviendra pas pour faire délivrer la Pucelle, parce qu’il sait que cette dernière ne risque rien pour sa vie. Princesse royale, elle ne risque même pas la torture de l’Inquisition, car elle appartient par le sang à une dynastie de droit divin. Les princes de sang sont les représentants de la majesté divine et attenter à leur vie est un sacrilège. Cela arrange bien le roi que la Pucelle ne vienne plus brouiller le jeu diplomatique avec ses opérations militaires. L’emprisonnement de Jeanne, après son procès, permet aussi sans doute de protéger le secret de sa naissance.
Les raisons familiales et dynastiques évoquées sont des raisons politiques majeures. C’est ce qui explique le silence gardé sur Jeanne par la chancellerie royale et les contemporains durant la période qui s’écoula entre le procès de Rouen et la réhabilitation.

En politique intérieure le cas de l’Université de Paris est réglé par des intervenants fidèles au roi, en parfait accord avec la papauté.
Le roi s’assure le soutien du clergé de France avec la promulgation de la pragmatique sanction en 1438, et des négociations qui s’ensuivent. Le procès de réhabilitation doit pouvoir intervenir avec le soutien des prélats français.
Autrement, en politique étrangère, tous les partenaires, royaumes de France et d’Angleterre, familles princières locales liées aux Valois, ont le même intérêt dynastique, pour des raisons complémentaires, à protéger le secret de la naissance de la Pucelle.
Sur le plan politique, en effet, la véritable identité de la Pucelle ne peut être divulguée par les cours européennes qui tiennent à conserver leur légitimité dynastique. Les diplomaties européennes s’adaptent à ce principe de sauvegarde et c’est le black-out qui s’installe en Europe après les évènements de Rouen. Le silence s’installe aussi à la Cour du Roi Charles, qui n’a évidemment pas intérêt à rappeler le souvenir de la Pucelle.
La parade politique de Charles VII consiste à entamer des négociations avec le seul partenaire qui peut restaurer l’image de la dynastie Française, l’Eglise.

9) Conclusion 

Nous avons montré que la naissance de la Pucelle peut très bien se situer le 10 novembre 1407, et qu’elle peut bien être le dernier enfant de la reine Isabau de Bavière. En conséquence, toutes les études historiques qui traitent le sujet sont à prendre en considération. Tous les historiens, qui s'appuyent sur les données historiques en notre possession, relevées dans cet article ne sont pas des farfelus. Et que dire des historiens qui répètent, sans cesse, dans chaque nouveau livre la date de 1412 ?
Nous conclurons sur la note prophétique de l’Inquisiteur de France Jean Bréhal. Au procès de réhabilitation ce dernier cite longuement un curieux ouvrage intitulé « la prophétie d’Engélide » dont on le soupçonne fortement d’être l’auteur. Jean Bréhal rappelle les malheurs de la France, puis parle « d’une vipère venimeuse » (Isabau), puis d’une jeune fille « marquée d’une petite tâche rouge derrière l’oreille droite ». Jean Bréhal prend soin de préciser que la Pucelle possédait ce signe derrière l’oreille. Or, au XVème siècle, l’opinion voulait que les personnes du sang royal portent sur elles un signe rouge de ce genre. A trois reprises, Jean Bréhal souligne certains paragraphes : « il abandonne dit-il, aux intelligences lucides le soin d’interpréter les mots relatifs à Jeanne  sortie d’où le poison brutal s’est d’abord répandu ». Toute la prophétie d’Engélide, citée longuement par Jean Bréhal, est révélatrice de la naissance de Jeanne.