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Jeanne ou St Maurice ?Les secrets de Jeanne - Questionnements & hypothèses

Opération bergère

La saga de la Pucelle a été instrumentalisée par des historiens peu scrupuleux, qui participaient à des mouvements d’idées cléricales ou anticléricales, ou qui défendaient des projets de société comme nous l’avons vu dans notre article "Jeanne et ses historiens".
Ces historiens sont les historiens de la légende ou de l’histoire officielle.
Marcel Gay affirme dans l’entretien réalisé par Benjamin Vasset, sur le site L'Internaute en Novembre 2007 que:

"Cette affaire Jeanne d'Arc n'est rien d'autre qu'une opération de services secrets conçue par Yolande d'Anjou, la belle-mère du roi, et exécutée de main de maître par une gamine hors du commun, Jeanne. Je n'ai jamais cru aux voix et autres fadaises célestes. Je crois au contraire qu'il s'agit d'un stratagème pour sauver le royaume. Et pour bien comprendre, il faut se replonger dans ce XVe siècle marqué par la guerre de Cent ans ".

Marcel Gay

Nous sommes d’accord avec l’auteur de « L’affaire Jeanne d’Arc »  et nous qualifions cette opération de services secrets en lui donnant le nom d’opération Bergère. Ce qualificatif est aussi le titre du livre d’André Guérin dit Drégérin. (voir à ce sujet notre article bibliographie alphabétique).

« L’opération bergère » comporte une phase de préparation et une phase de réalisation. Cette phase de réalisation que nous développerons est une phase politique qui comprend plusieurs thèmes que la Pucelle a développés pour favoriser la prise du pouvoir par le comte de Ponthieu.

Nous étudierons les faits juridiques, les faits judiciaires et de droit constitutionnel qui participent aux actions de la Pucelle, et qui se traduisent par ses idées politiques, constitutionnelles et ses considérations diplomatiques.
Nous développons ces idées pour approfondir notre interprétation des phénomènes historiques liés à la Pucelle dans l'article intitulé "Jeanne et ses historiens".
Sur ces sujets la Pucelle montre une maîtrise des phénomènes politiques de son époque dans des actions concertées de prise de pouvoir.

Nous serons bien sûr en contradiction avec de nombreux historiens de l’histoire "officielle" sur les thèmes que nous développons, à savoir :

  • Les conceptions constitutionnelles de la Pucelle et leurs conséquences politiques.
  • Les conceptions partisanes de la Pucelle en matière de succession dynastique.
  • Les conceptions diplomatiques de la Pucelle avec son rejet du Traité de Troyes.
  • La régularité de la naissance du Dauphin.

I. Les conceptions constitutionnelles de la Pucelle et leurs conséquences politiques :

Nous l'avons montré dans notre article "Jeanne et les historiens", mais on examine toujours l’intervention de la Pucelle au regard des procès de condamnation et de réhabilitation.
Nous sommes dans des procédures menées par des ecclésiastiques sur des problèmes religieux. Il convient aussi d’examiner les choses sous le simple aspect temporel.
Nous nous rappelons la fameuse tirade de la Pucelle s’adressant au dauphin Charles :

« Vous serez lieutenant du roi des cieux qui est roi de France ».

La pensée de Jeanne interfère dans le jeu politique du royaume d’une façon anachronique en ce qui concerne sa conception de la royauté, dite de droit divin, malgré un soutien inconditionnel et fervent au dauphin Charles.
La plus ancienne tradition, souvent rappelée par les évêques, se rattachait à la vieille « conception ministérielle de la royauté » : le roi n'est qu'un lieutenant de Dieu ; c'est au sacre qu'il reçoit son investiture.
Les légistes par contre tendaient à faire de plus en plus du sacre un acte religieux de confirmation ;  l'essentiel était le droit de primogéniture : « le roi est mort, vive le roi »

Louis XIV et Bossuet n’invoquaient pas Jeanne la Pucelle dans cette matière, car ils savaient que les conceptions de la Pucelle étaient dangereuses pour la conservation des institutions politiques et sociales du royaume.

La théorie du « Dieu premier servi » de Jeanne est en fait incompatible avec la  conception constitutionnelle qui s’exprime dans la maxime « Le Roi premier servi » de la monarchie.

Ces mots sont légers et nous les exprimons sans grand discours, mais ils sont lourds de signification en regard des traditions politiques et constitutionnelles du pays. En effet, dans les coutumes et ensuite dans les lois fondamentales du royaume, les décisions judiciaires des cours du royaume comme celles de l'Église ne peuvent s'imposer au Roi dans les domaines qui ne sont pas spirituels. C'est ce que veut dire "Le roi ne reconnaît pas de supériorité au temporel".

L’étendard, le penon et la bannière de la Pucelle étaient marqués par des symboles religieux qui montraient bien ses conceptions personnelles de la royauté :

On voit d'un côté Dieu en majesté tenant le monde en sa main, et sur l'autre face, une colombe soutenue par deux anges.

Le penon et sa légende: "De par le Roy du ciel"

Les historiens de l’histoire "officielle" ne font pas état des conceptions religieuses de la Pucelle qui interfèrent dans le domaine de l’Etat, car ces dernières sont difficiles à concevoir et ne présentent pas un caractère très populaire pour la plupart des admirateurs de Jeanne.

Les royalistes et monarchistes français de toutes les obédiences ont été et sont toujours des fervents défenseurs de la Pucelle, ce qui peut se comprendre difficilement sur le plan politique, compte tenu des divergences établies entre les conceptions de la Pucelle et celles des partisans français de la royauté sur le plan de l’essence même de la monarchie française.  

Les monarchistes, et de plus ceux qui sont catholiques, ne s’expriment que très peu sur le sujet. Une lecture plus attentive de la vie de la Pucelle leur est sans doute nécessaire sur le plan politique pour éviter toutes les dérives cléricales comme celle de l’affaire Thalamas par exemple.

L'affaire Thalamas!

L’Action Française de l’époque a sans doute fait un mauvais choix stratégique en amalgamant des cléricaux, car d’autres courants politiques moins conservateurs et sans doute non moins nécessaires à son développement pouvaient la soutenir à la place de ces cléricaux.

Pour les républicains, depuis la loi de 1905, soutenir la Pucelle, qui est pilotée par des saints s’exprimant par des voix et qui est championne d’un clan royaliste, est une conception politique originale. Pour ceux qui sont athées c’est d’autant plus curieux. Drôle d’époque où républicains et monarchistes, cléricaux ou anticléricaux soutenaient le même personnage.

Pour les catholiques, naturellement opposés à la Réforme protestante, et de toutes sensibilités politiques, leur soutien apporté à la Pucelle, condamnée pour hérésie, et dont les idées se rapprochent plus du calvinisme que de la stricte observance de la doctrine catholique, est également la preuve d’une méconnaissance totale de l’histoire, outre l’admiration qu’ils peuvent avoir pour le personnage pour toutes autres raisons.

Après sa canonisation, la Pucelle est devenue la "sainte de la patrie" pour ses nombreux partisans qui affichaient ainsi leur "cléricalisme national ou leur nationalisme clérical"!

Cependant nous comprenons bien que pour la Pucelle, pour laquelle Dieu, qui doit être le premier servi, se prononce pour le comte de Ponthieu, n’est pas seulement une pensée à caractère religieux. C’est un choix, que l’on peut qualifier de politique, qui est délibéré, et dont la rationalité peut nous échapper. C’est le premier acte politique, dans le cadre de l’opération Bergère, de soutien à Charles de Ponthieu pour le faire accéder au trône.

Cela étant, la Pucelle mélange allègrement le spirituel et le temporel et affirme que Dieu soutient le prétendant Valois plutôt que le prétendant Lancastre. Pour la Pucelle, Dieu qui fait de la politique et qui a pris parti pour son camp, est le point fort de son idéologie politique. Par contre le point faible de son raisonnement c’est qu’il ne repose sur aucune idéologie, réaliste ou rationnelle...

Vaincre les Anglais et couronner le roi Charles sont des actions militaires et politiques qui ne démontrent pas en elles-mêmes que pour les Français, le choix d’un prince, plutôt que l’autre, est le plus judicieux. Et les Bourguignons sont déclarés hors la loi alors qu’ils sont aussi Français que les Armagnacs.

Charles de Valois a bien sûr été obligé de revoir le dernier terme de cette politique en négociant avec le duc de Bourgogne dès avant la capture de la Pucelle.

II. Les conceptions partisanes de la Pucelle en matière de succession dynastique :

La lignée des Capétiens s’éteint en 1328 et la branche cadette des Valois hérite de la Couronne en la personne de Philippe VI.
Edouard III est le fils d’Isabelle de France, elle-même fille de Philippe le Bel, et donc  par ce fait un descendant capétien lui aussi. En regard des lois constitutionnelles anglaises, il est un descendant direct des Capétiens par une fille, alors que le Valois représente une branche cadette comme nous le disions.
Le roi d’Angleterre revendique ainsi la couronne française, sachant de plus que les lois de dévolution de cette couronne lui sont également favorables en regard des lois françaises. Il n’y a pas de conciliation possible pour Edouard III qui est dans son droit.

Les juristes français imaginent alors une parade pour dissuader le roi d’Angleterre de prétendre au trône de France. Ces derniers récupèrent dans les archives une vieille prescription révélée sous Clovis en 486, oubliée depuis, et qui était destinée à exclure les femmes de la succession à la  « terra salica et aviatica » c’est-à-dire au trône.
Cette disposition, familiale ou de droit privé, n’avait jamais été prescrite auparavant car ne figurant pas dans les lois coutumes du royaume de France.

Jeanne prend le parti d’exclure les femmes de la succession au trône de France et nos historiens entérinent le fait sans y trouver à redire.
En effet, Catherine la sœur aînée de Charles est complètement évincée dans les calculs dynastiques de la Pucelle. En 1316 et en 1328 les femmes ont été exclues de la succession par des coups d’états, mais leurs droits à la couronne étaient garantis par les lois du royaume.
C’est plus tard, en 1358, que l’on découvrit la loi salique et qu’on lui donna, pour servir la cause des mâles à la succession, une imaginaire portée constitutionnelle qu’elle n’avait nullement.

La loi salique n’a été évoquée qu’en 1358 dans la première phase de la guerre de Cent Ans pour servir les successions masculines, alors qu’elle n’était pas programmée pour cet objet à l’origine :

- 1337 : premières revendications d'Édouard III sur le trône de France, début de la Guerre de Cent ans.

- 1358 : découverte, par un moine de Saint-Denis, Richard Lescot, d'une version carolingienne de la Loi salique conservée dans les archives de son abbaye. Sans doute ne la lit-il pas in extenso, mais il remarque les généalogies royales qui, dans ce manuscrit, suivent les titres de loi, et qui font se succéder les monarques de mâle en mâle. Il communique sa découverte à un proche du roi Charles V. Personne ne semble lire le texte attentivement, ni ne semble convaincu que le droit du roi puisse être appuyé sur cette liste.

Les étapes de la sortie de la loi salique :

- Fin du siècle : premiers échanges diplomatiques internationaux attestant que le titre 62 a été remarqué, et que certains commencent à se demander si son dernier article ne serait pas exploitable.

- 1409-1416 : Jean de Montreuil, prévôt de Lille, secrétaire du roi, adversaire de Christine de Pizan dans la «Querelle du Roman de la rose» (1401-1402), rend public dans divers traités le texte du sixième article du titre 62, dûment modifié: Mulier vero nullam in regno habeat portionem. Le mot terra («terre»), a été remplacé par le mot regnum («le règne, la Couronne»). L'article est présenté comme une «coutume et ordonnance […] faite et constituée avant qu’il y eût roi chrétien en France».

L'article 62 du pactus initial porte sur la transmission des alleux, c'est-à-dire des terres détenues en pleine propriété par un groupe familial.
À la suite de plusieurs articles autorisant les femmes à hériter desdites terres, un court passage était promis à une longue postérité.
Ce texte a connu une évolution restreignant de plus en plus les droits successoraux des femmes ;
en effet : alors que la version initiale précise que « Si quis mortuus fuerit et filios non demiserit, si mater sua superfuerit, ipsa in hereditatem succedat. (si quelqu'un meurt sans enfant et que sa mère lui survive, c'est elle qui hérite) » et que « tunc si ipsi non fuerint, soror matris in hereditatem succedat. (si ceux-là aussi sont décédés et qu'il demeure des sœurs de la mère, elles héritent) » ;
la version finale du texte énonce que « De terra salica nulla portio hereditatis mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota terræ hereditas perveniat. » (quant à la terre salique, qu'aucune partie de l'héritage ne revienne à une femme, mais que tout l'héritage de la terre passe au sexe masculin). Cette dernière formulation apparaît dans les versions carolingiennes.

- 1410-1460 : polémiques au sein de la «haute administration centrale» sur la théorie la plus apte à justifier les droits des Valois au trône de France (c'est-à-dire l'écartement des filles de souche royale). C’est l’époque de la Pucelle qui prend parti pour son frère qui est le fils comme elle du duc d’Orléans et de la reine Isabau de Bavière. L’option prise par cette dernière est bien compréhensible s’agissant d’une affaire de famille !

Les partisans de la nouvelle "loi salique" pensent qu'elle seule peut expliquer la bizarrerie française sur l'échiquier européen (où la plupart des trônes laissent accéder des filles en cas d'absence de fils).
Ils s'opposent aux partisans d'une théorie plus universelle, selon laquelle le sang masculin peut seul transmettre la dignité royale ; pour ces derniers, le fait que la France seule applique la "loi de la nature" prouve sa supériorité sur les autres royaumes.
Les premières réécritures de l'histoire de France, destinées à établir que Philippe V, Charles IV et Philippe de Valois ont succédé au trône en vertu de la loi salique, voient le jour. Elles s'enrichissent d'un argumentaire misogyne visant à convaincre que, chaque fois qu'une femme a gouverné la France, le résultat a été catastrophique pour le royaume.

- vers 1450 - 1460 : publication du «Grand traité anonyme sur la loi salique». Le texte originel est interprété. Les essais de réécriture de l'histoire de France sont opérationnels et systématisés.

Privé des archives de la couronne, le gouvernement de Charles VII a cherché à localiser d'autres manuscrits de la loi salique, à les faire lire et copier pour pouvoir les utiliser comme preuves contre les Anglais.
Vers 1430, alors qu'on commence à préparer les négociations trilatérales qui aboutiront au traité d’Arras, un groupe de conseillers jouissant de la confiance du roi en fut chargé :
Christophe d'Harcourt, Geoffroy Vassal, archevêque de Vienne, le chancelier Renaud de Chartres, Gérard Machet et le secrétaire du roi originaire de Normandie qui écrivit le « Miroir historial » de 1451.
En fait, on semble en avoir trouvé deux, mais le travail a été effectué sur un seul manuscrit trouvé par Geoffroy Vassal à Savigny de Poitou, et transcrit par Gérard Machet, le collaborateur émérite de Yolande d’Anjou.On retrouve ce dernier dans tous les actes importants du royaume, jusqu’à la Pragmatique sanction.
Après la découverte, Gérard Machet, est allé à Savigny, et il a traduit pour le roi le manuscrit qui est resté dans son dépôt d'origine. Il faut comprendre qu'il l'a transcrit de l'écriture caroline en écriture de son temps, fabriquant une sorte de copie conforme et authentique de l'original, propre à servir de preuve dans les dossiers diplomatiques pour la paix d’Arras.

Ainsi, sous le règne de Charles VII, malgré les difficultés rencontrées pour retrouver un manuscrit de la loi salique, le texte de l'article soixante-deux s'impose en français comme en latin avec les termes exacts de la "lex salica carolina" et sa formulation intégrale.

Copie manuscrite sur velin du VIIIe siècle de la loi salique

Désormais, le texte est définitivement fixé, mais on n'a pas fait de traduction intégrale. Une traduction intégrale était difficile et peu maniable et peu souhaitable car la définition exacte de la « terre salique » n'est pas précisée dans le texte. Il était plus commode de résumer en une page l'essentiel des prologues historiques, d’incorporer la traduction de l'article soixante-deux, le seul important et de vulgariser ainsi l'essentiel de ce que les sujets de Charles VII avaient à croire. Cette tendance amorcée dans la deuxième version du « Miroir » de Noël de Fribois trouve sa forme définitive et en même temps le succès dans le Grand Traité anonyme sur la loi salique des environs de 1450.

Le moment décisif se situe entre 1435 et 1450, avec l’interprétation de la terre salique comme le royaume.

Il suffisait d’établir que la terre salique était le royaume avec tous ses caractères et avec toutes ses dépendances, y compris les apanages. Sous-entendue chez Jean de Montreuil, l'idée est clairement exprimée par Jouvenel des Ursins. Le Grand traité de 1450 l'affirme aussi.

- En 1593 un arrêt du Parlement de Paris donne une valeur constitutionnelle à la loi salique dans son acception nouvelle et la classe dans les lois fondamentales du royaume. Si depuis ses origines jusqu'à la Révolution, le royaume de France n'avait pas de constitution écrite, il restait soumis à un corps de principes de droit public impératifs et consacrés par l'usage. Progressivement, certains de ces principes ont été formulés en ensemble de coutumes, appelées d'abord Lois du royaume, puis vers 1575 Lois fondamentales du royaume.

Les conceptions de Jeanne en regard des lois du royaume étaient donc très en avance pour l’époque ou bien au contraire très rétrogrades puisque remettant en cause le principe de la succession héréditaire de la couronne de France. 

Dans cette affaire la Pucelle a défendu une option partisane  en matière de dévolution de la couronne. Cette option suppose que le Charles, comte de Ponthieu, est le fils de Charles VI, et que le traité de Troyes est invalide. Nous reviendrons sur ces deux précédentes suppositions  qui ne sont pas évidentes et qui devaient interpeller nos historiens. Cette option constitutionnelle lui permettait de soutenir le prétendant Valois Charles au détriment de sa sœur Catherine.
Nous sommes dans le second acte politique de la Pucelle pour soutenir Charles de Ponthieu et le faire monter sur le trône.

 

III. Les conceptions diplomatiques de la Pucelle avec son rejet du traité de Troyes. 

La validité du traité de Troyes est remise en cause par la Pucelle pour des raisons de choix dynastique ! Car la Pucelle soutient le prétendant Valois Charles de Ponthieu comme nous l’avons vu, au détriment de sa sœur Catherine de Valois, sans se soucier des conséquences politiques de sa revendication. Les historiens emboîtent le pas à la Pucelle sur le principe de la non-validité du Traité de Troyes, sans tenir compte de la situation politique et diplomatique de l’époque.

Catherine de Valois

Le traité de Troyes a été conclu le 21 mai 1420 entre Charles VI et Henri V.
Ce pacte diplomatique conclu entre les dynasties Anglaises et Françaises devait mettre fin au conflit que nous appelons la "Guerre de Cent ans".
Cet acte diplomatique entrainait pour les royaumes constitués d’Angleterre et de France des dispositions de droit public et des dispositions dynastiques familiales de droit privé.
Le traité de Troyes règle aussi la succession future du royaume de France qui doit revenir à Henri V, d’après les dispositions des signataires. 
La régularité du Traité de Troyes ne peut être remise en cause sur le plan des droits dynastiques ou des droit des Etats, non plus que sur le plan diplomatique à l’époque de la Pucelle. C’est un accord diplomatique régulier à l’époque de sa signature.

Le Traité de Troyes

Le traité de Troyes, souvent qualifié de "honteux" intervient alors que la France est dans une situation désastreuse, après des décennies de guerre, certes discontinue, mais préjudiciable aux cultures, au commerce...
Après les succès de Charles V, la France est dans le creux de la vague : la défaite d'Azincourt (1415) a décimé l'armée, le pays est divisé entre deux factions (Armagnacs et Bourguignons) et le roi Charles VI a perdu la raison.
Ce dernier, avec la reine Isabeau de Bavière, est l'otage de fait de l'homme fort du pays, le duc de Bourgogne, maître de Paris.

La bataille d'Azincourt

Philippe III le Bon vient de succéder à son père Jean Sans Peur, assassiné en 1419 à Montereau par les fidèles de Charles de Ponthieu (une entrevue devait avoir lieu entre le Duc de Bourgogne et Charles, dont les alliés craignaient un accord entre les deux hommes). Encouragé par la lassitude des parisiens, Philippe III de Bourgogne franchit le Rubicon et négocie avec les Anglais.

Les exigences d'Henri V sont simples : il épouse Catherine, la fille de Charles VI, et à la mort du roi de France, le roi d'Angleterre règnera sur les deux pays.
Les négociations s'accompagnent d'une trêve, très appréciée par la population, soulignant les bienfaits à attendre d'une paix. Le duc de Bourgogne impose l'alliance anglaise au conseil royal. Après quelques mois de mise au point, le traité est signé en la cathédrale de Troyes, le 21 mai 1420.
Il stipule que :

A la mort de Charles VI, Henri V et ses descendants seront souverains légitimes de la France, comme de l'Angleterre ; La France conserve ses lois et coutumes, son organisation et ses privilèges ; Charles de Ponthieu, qualifié de bâtard, ne doit être approché par personne.

Le 2 juin, Henri V épouse Catherine et s'en va prendre quelques villes encore favorables à Charles (Sens, Montereau, Melun).

Le mariage d'Henry V et de Catherine de Valois

La responsabilité du traité est volontiers imputée au seul duc de Bourgogne, voire à Isabeau de Bavière.
La réalité est sans doute plus complexe car la situation militaire est catastrophique, notamment après Azincourt, et le roi d'Angleterre aurait pu réunir les deux couronnes par la force. Le roi de France est fou, son "fils" le comte de Ponthieu est isolé et peu énergique.
Le traité de Troyes est donc peut-être un moindre mal. Quant à la responsabilité d'Isabeau, elle est toute relative, car sans réel pouvoir face au duc ou contre l'Anglais, comment aurait-elle pu empêcher la signature du traité ?

Le Traité de Troyes n’est pas un accident dans notre histoire, et encore moins un acte de folie comme d’aucuns peuvent le dire, mais l’aboutissement logique et naturel de tout une série de négociations dont le point de départ remonte à trois décennies.

Il faut se souvenir aussi que l’assassinat du duc de Bourgogne à Montereau le 10 septembre 1419 est la cause immédiate et directe de l’exhérédation du comte de Ponthieu. C’était pour les contemporains de Charles un acte qui montrait que ce dernier souhaitait venger le duc Louis d’Orléans et donc qu'il en était bien le fils, et non celui de Charles VI.

L'assassinat de Jean sans Peur

Ce fut une trouvaille merveilleuse que celle qui consista à faire jouer l’argument de la bâtardise, mais ce fut une idée encore plus astucieuse que celle qui consista à faire dépendre la criminalité de la bâtardise.

Mais ce que les historiens ne relèvent pas c’est que cette combinaison fut l’œuvre des Armagnacs, c’est-à-dire l’œuvre de ceux qui se prétendaient les fidèles serviteurs de Charles de Ponthieu, ce qui ne démontre pas une grande intelligence politique de leur part.

Avant de procéder à la conclusion de l’accord diplomatique définitif, le roi Charles VI fit envoyer des observateurs en ambassadeurs de Paris à Troyes pour qu’ils suivent les négociations.
Au retour de ces derniers, une Assemblée Générale du Parlement est convoquée le 29 avril sous la présidence du Chancelier de France Eustache de Laistre.
Un accord unanime de la part des députés s’exprima lors de cette séance.
Les formalités d’enregistrement de l’accord ont été accomplies dans les règles pour concrétiser le consentement de la nation dans l’acception du terme à l’époque.
Le parlement de Paris signa le traité le 30 mai 1420, ce fut ensuite au tour du Châtelet et pour finir par la Chancellerie le 04 juin. L’acquiescement de l’Université et des Etats Généraux était également nécessaire ce qui fut réglé pour la première institution le 03 juin et pour la seconde le 10 décembre 1420.

Le traité de Troyes devint donc une loi d’ordre public du royaume et s’inscrivit dans le processus constitutionnel, c'est-à-dire dans les lois du royaume.

Pour conclure, nous remarquons que les historiens sont très prompts à expliquer pourquoi le traité de Troyes est néfaste pour la monarchie française, contrairement à ce que pensaient les représentants de la nation à l’époque, plutôt que d’expliquer dans quelles circonstances il a été signé.
Le parti-pris de la Pucelle pour le dauphin Charles entraîne évidemment son rejet du Traité.

Le Traité de Troyes présente un intérêt particulier en ce sens que c’est de sa reconnaissance ou de son invalidité que dépend l’appréciation de l’œuvre de la Pucelle.

L’invalidité du Traité conditionne la légitimité des missions de Jeanne puisque cette dernière intervient pour empêcher l’application de ce Traité.
Par contre si nous reconnaissons la validité du Traité, c’est la légitimité de l’œuvre de la Pucelle qui est contestable !

Charles VI et Isabeau au traité de Troyes

Il convient également de rappeler que Charles VI manifesta quelques jours avant sa mort ses dernières volontés au sujet du Traité de Troyes, en faisant envoyer par sa Chancellerie des ordres stipulant le maintien intégral des termes du Traité. On note que Monseigneur l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, était l’un des exécuteurs testamentaires de Charles VI...

Nous sommes bien obligés de considérer que la Pucelle a adopté une attitude contradictoire par rapport au Traité de Troyes dont la valeur est incontestable en droit constitutionnel français, et consécutivement en droit international de l’époque, mais elle a aussi fait preuve d'un total irrespect des volontés royales.

Les historiens n’aiment pas évoquer ou n’évoquent tout simplement pas ces problèmes de peur de perdre leur notoriété.

La non-reconnaissance de la validité du Traité de Troyes par la Pucelle est son troisième acte politique pour favoriser l’accession au trône du comte Charles de Ponthieu. Pour valider ses missions, la Pucelle doit également cautionner la régularité de la naissance de ce dernier qui, comme nous le verrons, est plus que contestable en regard des éléments historiques en notre possession.

Henri V de Lancastre

Roi aussi cynique qu’intelligent, Henri V de Lancastre est considéré comme un véritable héros national en Angleterre (cf. la pièce de théâtre de William SHAKESPEARE, 1599). Paradoxalement, c’est ce Roi qui accentua le caractère protonational de son royaume, qui faillit réaliser le projet de double monarchie avec le royaume de France.

 

IV. La régularité de la naissance de Charles, comte de Ponthieu :

Les armoiries de Charles VII

Le futur Charles VII est né le 23 février 1403...
Sa conception se situe donc normalement dans la seconde quinzaine de mai 1402, à une époque où Isabeau de Bavière a définitivement quitté le domicile conjugal de l’Hôtel Saint-Pol, résidence du roi, pour s’installer à l’Hôtel Barbette.
Nous savons également que l’entourage de Charles VI interdisait au roi toutes relations sexuelles, que ce fût avec sa femme, ou avec sa maîtresse Odette (ou Odinette ou Ondine) de Champdivers.
Cette dernière étant la fille d’Odin ou Oudin de Champdivers, seigneur de Champdivers et maître-écuyer du duc de Bourgogne, Jean Sans Peur.
Elle appartient à une famille descendant de la maison de Longwy (famille de Jacques de Molay). La seigneurie de Champdivers est en réalité la branche cadette du dernier maître des templiers.
Odette a trois frères : Jean, Odinet et Guillaume de Champdivers. Elle est remarquée par le frère du roi de France, Louis Ier, d’Orléans, et c’est lui qui l’a probablement introduite à la cour en 1405.
Odette devient rapidement la maîtresse et «l’infirmière particulière du roi» au grand soulagement de la reine Isabeau de Bavière qui était devenue son souffre-douleur depuis longtemps.
En 1407, elle donne naissance à Marguerite de Valois, fille illégitime de Charles VI, qui mourra en 1458.
Il semble que la liaison d’Odette de Champdivers et du roi a commencé aux alentours de 1406-1407. Leur relation durera 15 ans. D’une très grande beauté, Odette est surnommée à la cour la "petite reine". Elle seule a le privilège de l’approcher durant ses crises de folie et de le consoler. Pendant ses 15 années de favorite, elle partage le long calvaire du roi atteint de folie.

Odette de Champdivers

Les 10 et 11 mai 1402 des joutes eurent lieu, auxquelles le roi participa, ce qui implique qu’il se trouvait dans une période de lucidité. Mais il dut avoir une crise le lendemain ou le surlendemain de cette manifestation, car il était en état de délire le jour de la Pentecôte, fête tombant le 14 mai.
Cette crise dura quatre semaines et prit donc fin vers le 10 juin. Ainsi, pour être le véritable père du futur Charles VII, il faudrait qu’il l’eût conçu :

  • Soit avant le 12 mai, ce qui impliquerait une grossesse de neuf mois et douze jours au minimum.
  • Soit après le 10 juin (à un jour près), ce qui impliquerait une grossesse de huit mois et dix jours au maximum.

Cette seconde hypothèse supposerait, en outre, qu’Isabeau se fût précipitée à l’hôtel Saint-Pol dès le lendemain de la fin de la crise, ce qui est assez peu vraisemblable... Car, pendant son délire, le roi ne tolère pas qu’on lui fasse sa toilette et qu’on change son linge, de sorte qu’il a le corps couvert de croûtes et de vermine et dégage une odeur que nul ne pouvait souffrir.
Le religieux de Saint-Denis note aussi, dans sa chronique, qu’ayant pris sa femme en aversion, il la battait si durement que les princes appréhendaient quelque malheur.
Il est donc hautement improbable que le couple royal ait pu avoir des épanchements amoureux juste au sortir d’une crise de folie qui avait duré quatre semaines.

Il reste évidemment la possibilité d’une conception antérieure au 12 mai, avec une grossesse de plus de 285 jours, dépassant la moyenne de 15 jours. Mais les statistiques médicales révèlent que cela ne se produit aujourd’hui que dans 4 % des cas, ce qui est infime ; 59 % des accouchements ne se produisent qu’entre le 265ème et le 280ème jour, et il n’y a guère de raisons pour qu’il en eût été autrement au XVe siècle. Les probabilités vont donc très nettement dans le sens de l’illégitimité de Charles VII.

Jean Verdon, historien auteur de nombreux ouvrages sur le Moyen-âge, nous confirme qu’Isabeau ne vécut que six mois en neuf ans à l’Hôtel Saint-Pol. Les historiens sont d’accord pour situer à l’année 1404 la fin définitive des rapports intimes entre Charles VI et la Reine.
Le véritable père, s’il n’était pas Charles VI, ne pouvait être que le duc d’Orléans.

L'entrée d'Isabeau de Bavière à l'hôtel St Pol

Sans doute Isabeau eut-elle bien d’autres amants au cours de sa vie licencieuse, mais plus tard.

En 1402, elle était très amoureuse de son brillant beau-frère ; c’était l’année où elle acheta l’hôtel Barbette pour pouvoir y vivre aussi "conjugalement" que possible avec lui, et l’on sait que pendant tout le mois de mai 1402, mois de la conception (hypothétique) du futur Charles VII, le duc Louis n’a pas quitté Paris.
Il n’aurait certainement pas toléré une infidélité de sa maîtresse dont les faveurs soutenaient sa puissance et faisaient de lui le véritable roi de France.

Les débordements d’Isabeau ne se manifestèrent ouvertement qu’après l’assassinat de Louis en 1407. Charles VI n’était pas privé de raison de manière permanente. Il était lucide pendant les intervalles entre ses crises de fureur et n’ignorait rien des infidélités de sa femme, ce qui peut expliquer ses dispositions de rejet envers le comte de Ponthieu Charles qualifié de "soi-disant dauphin" dans le Traité de Troyes.
Isabeau s’est ralliée ouvertement au camp Anglo-Bourguignon, qui ne reconnaissait pas la légitimité du comte de Ponthieu, en novembre 1417 ; c’est-à-dire juste après la mort du duc Jean de Touraine, frère aîné de Charles, décès suspect qui transférait à ce dernier le titre de dauphin. Isabeau acceptait que Jean devint roi de France, mais pas Charles.

L’intérêt politique des Anglais était de jeter le doute sur la légitimité de Charles VII, en dehors du fait de bénéficier des conséquences du procès intenté par l’Inquisition contre la Pucelle. Ce procès pouvait également nuire à la légitimité de Charles VII en cas de verdict de sorcellerie opposé à la Pucelle et dans une moindre mesure en cas de verdict d’hérésie en termes de notoriété.

Charles VII

Cependant, les Anglais ne pouvaient pas faire trop ouvertement l’étalage de la légèreté des mœurs d’Isabeau sans risquer de compromettre également la légitimité de naissance de Catherine, née deux ans seulement avant Charles et qui, ayant épousé Henry V, était la mère du jeune Henry VI, déclaré roi de France et d’Angleterre.

Nous observons que sur le plan des personnalités, Henri V est pieux et rangé, contrairement à Charles VII, contre qui l’assassinat de Jean Sans Peur et l'adultère public avec Agnès Sorel doivent plaider en matière de religion.
Charles VII est également un gallican résolu, donc un contestataire des volontés papales.
On se demande si, dans la psychologie de la Pucelle, Dieu a fait le bon choix en désignant Charles, Comte de Ponthieu, pour devenir roi de France.

Agnès Sorel, Maitresse officielle de Charles VII à partir de 1440

On peut comprendre qu’un certain nombre d’historiens ne peuvent adhérer aux idées politiques de la Pucelle qui, comme nous l’avons vu, sont soit des conceptions religieuses, soit des conceptions constitutionnelles ou diplomatiques difficilement recevables.
De plus, le soutien à un prince dont la légitimité n’était pas reconnue (de notoriété publique) nous amène à considérer avec beaucoup d’intérêt les historiens qui dénoncent dans l’intervention de la Pucelle une vaste opération politique.

C’est "l’Opération Bergère" pour faire référence au titre du livre d’André Guérin (publié en anglais et en allemand respectivement en 1961 et en 1963).
Les livres dont nous donnons les références sur ce site développent également pour la plupart la même thèse du complot politique, dont le maître d’œuvre est un des personnages les plus énigmatiques du règne de Charles VII, Yolande d’Anjou.
Celle que l'on a surnommée la reine des quatre royaumes (Naples, Sicile, Jérusalem, Chypre), duchesse d’Anjou et Comtesse de Provence, embrasse passionnément la cause de cette grande maison féodale et devient bientôt le chef de la dynastie qu'elle défend avec plus d'ardeur que les princes eux-mêmes.

Yolande d'Anjou

La reconnaissance de la régularité de la naissance du comte de Ponthieu par la Pucelle est son quatrième acte politique pour favoriser l’accession de ce dernier sur le trône.