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BD Puchol-ManginLes secrets de Jeanne - Actualité

Opération Bergère: manipulation d'état et d'église

Avec l'aurorisation de l'auteur, octobre 2012

Mélanie LAFONTEYN, psychopédagogue, écrivaine
Dans "le Libre penseur", n°142, septembre 2009

Il existe trop de témoignages d'époque, trop de documents incontestables pour remettre en cause l'existence de Jehanne la Pucelle et elle est bien une femme hors du commun. Se poser des questions sur le qualificatif «Pucelle», c'est-à-dire sur sa virginité, vérifiée à deux reprises, par Jeanne de Preuilly et Jeanne de Mortemer en 1429 et par Anna Bavon en janvier 1431 n'a de nos jours qu'un intérêt physiologique et psychologique. Ses propres compagnons d'armes s'étonnaient de son absence de féminité, entendons ici de l'absence de certains signes physiologiques qui caractérisent la femme. On s'interrogera éternellement sur ses amours passionnées avec Gilles de Rais, mais les amours platoniques peuvent aussi être passionnées. On sait que Gilles de Rais avait une admiration sans bornes pour Jehanne et que l'admiration était réciproque.

Gilles fit écrire un Mystère sur elle, une œuvre de 20500 vers où il l'appelle «Noble Dame». L'original est au Vatican. Les vrais secrets d'amour appartiennent toujours à ceux qui les vivent et jamais à ceux qui ne sont à même que de les imaginer et souvent les salissent, par ignorance grossière ou envie malsaine. Gilles de Rais fut le seul, avec l'aide de La Hire, qui tenta, en vain, de soustraire Jehanne aux souffrances de l'Inquisition. Il leva une armée à ses frais et galopa vers Rouen, écrasant au passage les Grands-Bretons et leurs alliés. Au Jour du bûcher, il n'était qu'à deux jours de marche de la ville, encore ignorant de la comédie qui était en train de se monter.

Aucun doute sur le fait que Yolande d'Anjou est la femme la plus intelligente et la plus éclairée de toutes celles qui entourent le Dauphin. Elle a élevé Charles dans son château d'Angers et s'est arrangée pour lui faire épouser sa fille Marie. Charles n'est que dauphin, mais elle veut que son gendre soit un jour roi de France. Elle défend d'arrache-pied les intérêts de la Maison d'Anjou et son patrimoine.

L'opération "bergère" est conçue dès 1418. On retrouve déjà à cette date les traces de la légende de la Pucelle que Yolande et les franciscains ont mise sur pied à des fins purement politiques et religieuses. Le problème à résoudre est de taille: deux rois, un Français et un Anglais, se disputent le même royaume. Ils ont les mêmes droits au regard de la généalogie. Qui peut donc déterminer qui des deux méritera d'être roi? Dieu, et lui seul. Et Jehanne entre en scène. Elle va être celle qui va DIRE LE DROIT AVEC L'AIDE DE VOIX VENANT... DU CIEL Des prophéties commencent à circuler de ville en ville et on se charge de les colporter : une vierge viendra pour sauver le royaume, comme le Christ vint pour sauver l'humanité, mais n'y parvint pas, hélas. L'humanité n'a jamais cessé d'être un chaos et ne cessera jamais de l'être. Le royaume de France est au bord du gouffre, pris en tenaille par l'Anglais et le Bourguignon; les Anglais semblent invincibles; les maigres troupes royales sont incontrôlables, leurs chefs travaillant le plus souvent pour leur propre compte; les princes complotent ou se rallient à l'Anglais, et le dauphin Charles doute de tout, et surtout de sa légitimité. Son père Charles VI est schizophrène et sa mère est la maîtresse de Louis d'Orléans, frère du roi.

En janvier 1408, Isabelle de Vouthon, dite Rome, et non Romée, pour s'être rendue en pèlerinage au Puy, équivalent de Lourdes et succursale de Rome, épouse de Jacques d'Arc, accouche d'une fille sans avoir été préalablement enceinte. Les habitants de Domrémy, village qui ne regroupe que 34 foyers et où tout se sait, racontent, lorsque Charles VII décide de réhabiliter Jehanne officiellement, que la veille de la mise au monde, des sergents en armes de la Maison d'Orléans arrivent à Domrémy avec un enfant enveloppé dans des couvertures et une nourrice. Le voyage a duré huit jours au milieu d'un hiver qualifié d'extrêmement froid. L'enfant dont a accouché Isabeau de Bavière le 10 novembre 1407 a mystérieusement disparu et n'a pas été enterré dans les caveaux royaux de Saint-Denis comme l'ont prétendu de faux actes. L'examen méticuleux de cette chronique d'un prêtre de Saint-Denis montre que le papier qui relate cet événement n'a été fabriqué que cinquante ans plus tard. L'arrivée du bébé royal à Domrémy ne sera évidemment pas consigné dans l'enquête de réhabilitation.

Le deuxième mensonge consiste à maquiller la véritable date de la naissance de Jehanne pour que n'en soit pas décelée l'origine royale. Depuis le premier jour de sa vie, il y a suppression ou manipulation de documents. On se livre à tous les faux pour brouiller les pistes. Yolande d'Anjou décide de rajeunir la jeune fille de quatre ans et l'Eglise de l'époque la fait naître en janvier 1412 dans le but d'éviter tout soupçon sur sa parenté avec Charles VII. Il faut aussi bien manœuvrer pour que sa date de naissance ne coïncide pas avec l'un des enfants de Jacques d'Arc. Dans certains livres d'histoire, on nous dit que le douzième enfant d'Isabeau de Bavière, né et mort le 10 novembre 1407, s'appelle Philippe; d'autres affirment qu'il s'appelle... Jehanne. Finalement Philippe et Jeanne ne font qu'un. Le nouveau-né, ou la nouvelle-née, est d'abord caché/e à la cour puis confié/e à la famille d'Arc en janvier 1408. Au cours de ses procès, Jehanne ne se lassera pas de répéter qu'elle a TROIS FOIS SEPT.

Les époux Jacques d'Arc, ou Dare, ou Day, ou Darques, ou Darc, et parfois même Tarc - le patronyme écrit d'Arc ne sera inventé par les historiens que bien plus tard - ont quatre enfants: Jacquemin, Jean, Pierre et Catherine. Aucune Jeanne n'est née de leur union. Jacques d'Arc n'est pas un pauvre laboureur mais appartient à une famille d'ancienne chevalerie tombée en dérogeance et non en déchéance. Il est propriétaire terrien. La famille jouit d'une assez large aisance et Jacques est investi des fonctions de doyen de son village, commandant de la milice locale, fermier général du lieu, procureur général du châtelain de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt. A cette époque, son revenu annuel est de cinq mille francs-or, ce qui est loin d'être le revenu d'un laboureur. Isabelle de Vouthon est apparentée aux Beauveau, Ludres, Nettancourt et Armoises (retenons ce nom), toutes familles nobles et importantes de l'époque. Il paraît fort douteux que la maison restaurée de Domrémy que l'on fait aujourd'hui visiter aux touristes soit réellement celle qui fut habitée par la famille dite d'Arc, ou si elle le fut, elle ne le fut pas longtemps. Siméon Luce relate qu'en 1419 les d'Arc quittent le village et louent le château-fort abandonné par les seigneurs de Bourlémont (retenons aussi ce nom), château qui se trouve sur une île entre deux bras de la Meuse et possède un grand jardin. Qui désire assurer à tout prix la sécurité de la princesse et « la protéger des coups de main effectués par des soudards plus ou moins brigands »? Jehanne parlera plus tard du «grand jardin».

Jehanne n'a jamais été bergère. Elle le dira elle-même deux fois avec irritation au cours du procès de Rouen: «je n'ai jamais gardé tes moutons ou d'autres bêtes »). Elle n'a jamais dit non plus qu'elle s'appelait D'Arc, mais seulement Jehanne la Pucelle. Au cours de son procès, elle en vient même à dire qu'elle ne connaît pas son nom. Elle cache volontairement son vrai patronyme parce que sa vraie famille le lui a ordonné.

Elle sait monter des destriers fougueux, porter des éperons, manier l'épée, dompter les chevaux. Elle parle un excellent français, sait lire et écrire. Durant sa courte carrière (2 ans) de femme guerrière, elle rédige 19 lettres et c'est une excellente épistolière. Deux fées se sont penchées sur son berceau, et quelles fées! Yolande d'Anjou, que nous avons déjà nommée, et Colette de Corbie, aidée de soeur Catherine, Sœur Marguerite et Frère Michel. Derrière Colette de Corbie, les franciscains, en désaccord avec les dominicains qui les haïssent. D'autres nobles dames, appartenant toutes au tiers-ordre franciscain, vont également se charger de son éducation: Agnès de Joinville, les dames de Bourlémont (souvenons-nous du château où habite Jehanne) et les dames de Fay. Jehanne va devenir l'arme secrète de l'Eglise de France contre la papauté de Rome. Quant aux « voix », elles sont bien réelles puisqu'elles sont celles de ses éducatrices et éducateurs: à cette époque, les franciscains du tiers-ordre utilisent entre eux un langage codé et s'appellent Saint et Sainte au lieu de Frère et Sœur. Sainte Catherine, Sainte Marguerite et Saint Michel sont des êtres en chair et en os. Non seulement Jehanne fréquente l'église de Domrémy, mais aussi l'Hermitage de Notre-Dame de Bermont, à une lieue au nord de Domrémy, au flanc d'un coteau dominant la vallée de la Meuse.

C’est là qu'on se charge de son éducation politique et militaire, fait attesté au cours du procès de réhabilitation de 1456 par l'un de ses trois parrains, Jean Morel. Jehanne porte la bague franciscaine gravée de trois croix avec les mots Jhesus Maria, signe de ralliement des franciscains. Plus tard, ces mêmes mots seront brodés sur son étendard, ce qui sera considéré par l'évêque Cauchon comme un crime contre l'Eglise.

Qui ne s'est étonné de l'aplomb dont fait preuve l'héroïne de Lorraine, à la cour de Charles VII comme au tribunal de Rouen? Où cette jeune fille aurait-elle pu acquérir sa science de la chevauchée, de la bataille? A-t-elle appris l'équitation en gardant des moutons? Les voix célestes lui ont-elles enseigné la langue française? Ou serait-ce les pauvres laboureurs? La voilà caracolant, bannière au poing, à la tête des troupes royales et en imposant aux rudes capitaines par son autorité et ses connaissances militaires. La voilà se défendant à Rouen avec une pugnacité de juriste professionnel. Une bergère inculte soudainement transformée en chef de guerre? Voilà bien une opération politique magistralement orchestrée!

A cette époque, pour des gens organisés et possédant des relais bien répartis, déclencher l'apparition d'un mythe ne constitue pas une tâche surhumaine. Les croyances et les légendes sur les différents thèmes repris par le mythe (les pastoureaux, la pucelle, l'arbre sacré, les voix divines, les oiseaux, la prophétie de Merlin, etc.) sont dans l'air du temps. Le mysticisme, la crédulité populaire, l'inculture, la pression monstrueuse exercée par l'Inquisition, l'extrême misère du royaume de France, offrent un excellent terrain d’accueil. A la tête d'une telle entreprise de mystification il faut aussi un cerveau. Yolande d'Anjou, épouse de Louis II d'Anjou, est une femme intelligente et habile, célébrée par les chroniqueurs de son temps. Charles, jeune homme falot, l'appelle sa « bonne mère ». Elle est la femme forte du royaume et a la motivation, la patience et l'argent. Elle est reine de Sicile, duchesse de Provence, championne des Orléans et des Armagnacs contre les Bourguignons et, bien entendu, contre les Anglais. Le dauphin devient roi à la mort de Charles VI, le roi fol. Yolande d'Anjou a une grande emprise sur lui car il est indécis, maladroit dans ses entreprises, soumis à la mauvaise influence de ses favoris. Un choc psychologique est nécessaire, tant pour lui que pour le pays. Une intense activité diplomatique va précéder l'entrée en scène de Jehanne.

Quand elle commence sa mission, c'est René d'Anjou, fils de Yolande, qui l'introduit auprès du duc de Lorraine. René est l’ami de Robert de Baudricourt. Yolande va prendre en charge les frais de l'expédition d’Orléans car les caisses du dauphin sont vides, de la campagne militaire dans la vallée de la Loire (fameuse bataille de Patay qui brise le moral de l'Anglais), puis du long déplacement à Reims pour le sacre.

Dès le début de sa mission, alors que Jehanne n'a encore rien fait de bien étonnant, la rumeur s'amplifie dans tout le royaume avec un synchronisme spectaculaire, colportée par les moines franciscains qui sillonnent le pays: la vierge qu'on attendait, vêtue d'habits d'homme et envoyée par Dieu, va sauver le roi et chasser les Anglais du royaume. Yolande et sa fille Marie sont aussi affiliées au tiers-ordre franciscain. Colette de Corbie est la principale animatrice du mouvement franciscain et réformatrice de l'ordre des clarisses. Si on accepte la version officielle de mission divine confiée à Jehanne, cela signifie que Dieu, en la faisant intervenir, prend le parti de Charles VII, prince supposé bâtard, non reconnu par son propre père et déshérité par sa mère. Dieu prend donc parti contre le roi anglais qui a pour lui la légitimité de droit et de sang. Belle idée de justice divine! Ou alors il faut prêter à Dieu des soucis géopolitiques d'équilibre européen qui laissent vraiment perplexe!

Et que dire de tous les saints, protecteurs respectivement des Français, des Anglais et des Bourguignons? En vinrent-ils eux aussi aux mains pour régler leurs différends? Tout laisse supposer que les archanges en vinrent aux ailes.

En haut lieu, on dirige l'éducation de Jehanne, qui est celle d'une princesse et non celle d'une pastourelle. Un de ses contemporains, Jean Chartier, note que mise en présence de Charles VII «elle fit toutes les inclinaisons et révérences à faire au roi, ainsi que si elle avait été nourrie à la cour. On eut dit que cette jeune fille avait été élevée non pas aux champs mais aux écoles, dans la culture des lettres».

Tous constatent qu'elle a le goût du faste et des étoffes de grand prix. Son sens du prestige est développé. Elle sait revendiquer les honneurs qui lui sont dus et faire respecter ses volontés. Elle s'irrite des contradictions, ne commet jamais la moindre erreur sur les règles de préséance. Elle impose à tous une autorité qui se dégage naturellement de sa personne, notamment sur les grands chefs de guerre de l'époque qui n'étaient certainement pas des hommes faciles à manier. On imagine mal Gilles de Rais, maréchal de France, Jean d'Aulon, Jean de Dunois le Bâtard d'Orléans, Ambroise de Loré, le comte de Clermont, Bertrand de LaTour d'Auvergne, Guy de Laval, Etienne Vignolle, plus tard maréchal de France, le duc d'Alençon, Jean Pothon de Xaintrailles, se plaçant docilement sous les ordres d'une bergerette avant même qu'elle ait fait ses preuves au combat. Elle est parfaitement instruite d'une situation politique et militaire plus complexe qu'elle n'a jamais été dans tout le cours de l'histoire de France. Elle monte à cheval comme une écuyère accomplie, et non comme une amazone, ce qui exige un enseignement et un entraînement auxquels n'est soumise aucune fille de paysans. Tous les experts en équitation savent qu'il faut au moins quatre ou cinq années de travail assidu pour devenir la brillante cavalière qu'elle est. Un détail intéressant : son père, Louis d'Orléans, était considéré comme le meilleur écuyer du royaume. Glorieux héritage?

Sur ordre de Charles VII, Jehanne est logée au donjon du Coudray, c'est-à-dire dans la plus belle partie du château. On lui constitue immédiatement une maison civile et une maison militaire, attribution normalement réservée aux familles pouvant faire preuve d'une noblesse continue depuis les croisades. Elle a: une dame d'honneur, Anne de Bellin; un page, Louis de Conte; un écuyer, Jean d'Aulon; un chapelain, Frère Pasquerel, franciscain; un maître d'hôtel; deux hérauts d'armes; un secrétariat de deux secrétaires et un trésorier; une écurie, de six palefrois et six destriers; le droit de bannière dans l'armée royale, et son étendard sera le seul admis à figurer dans le chœur de la cathédrale le jour du sacre; des éperons d'or, privilège des chevaliers ayant reçu l'adoubement; une armure, payée par le trésor royal pour 100 livres-tournois, alors que celle du duc d'Alençon n'en avait coûté que 80; une épée, dite de Fierbois, que Jehanne se permet d'exiger et que Louis d'Orléans, son père, avait reçue de Bertrand du Guesclin. Rien de moins! Une garde-robe fastueuse, payée par Charles d'Orléans depuis Londres où il est retenu prisonnier. Ce prince interviendra souvent dans cette aventure dite mystique, pour le bien de la cause, Jehanne recevra même de Charles VII le droit de grâce, privilège strict du souverain, et fait absolument unique dans toute l'histoire de France. Quelle chance miraculeuse pour une bergère illettrée!

Il n'est pas un seul Lorrain qui ne sache et ne conte aujourd'hui, lorsqu'on lui parle de Jehanne, qu'on ne brûle pas la jeune fille sur le bûcher le 30 mai 1431 mais qu'on la sauve parce qu'elle est bien princesse royale, demi-sœur ou sœur de Charles VII, et de Catherine, reine d'Angleterre. Elle s'appelle donc Jehanne d'Orléans. Elle est remplacée au dernier moment par une autre femme que personne ne peut reconnaître car la victime apparaît devant la foule «embronchée», c'est-à-dire la tête et le visage recouverts. L'Inquisition brûle tant de sorcières que Cauchon et Bedford, oncle du petit roi d'Angleterre Henri VI âgé de 2 ans, n'ont aucun mal à planifier la substitution. Huit cents hommes d'armes portant glaives et bâtons écartent la foule. Il ne s'agit donc pas d'une exécution publique au sens strict du mot. Et enfin, on estime inutile de rédiger un compte rendu de cette exécution alors que toutes les exécutions en ont un.

Le déroulement du procès est connu, bien que les pièces originales aient été perdues, égarées, cachées. On a cependant conservé des documents qui prouvent l'intérêt des contemporains pour cette affaire. Dès 1435, deux membres du tribunal, Guillaume Manchon et Thomas de Courcelles, rédigent en latin le résumé du procès-verbal. On dispose aussi de fragments de notes prises par les notaires au cours des séances. Une copie de l'instrument public des sentences, résumé rédigé au lendemain du procès, est réalisée en 1456.

Rappelons pour mémoire les noms des inquisiteurs psychopathes les plus haineux envers Jehanne: Pierre Cauchon, évêque de Beauvais; Jean Graverent, dominicain, maître de théologie de Paris, inquisiteur de la perversité hérétique; Thomas de Courcelles, recteur de l'Université de Paris; Jean d'Estivet, chanoine de Beauvais, qui, en 1431, rédige un réquisitoire de 70 articles, incitant le tribunal à reconnaître Jehanne «sorcière, devineresse, pseudo-prophétesse, utilisatrice des formules magiques des malins esprits, conjuratrice, superstitieuse, adonnée aux arts magiques, mal pensante dans notre foi catholique, sacrilège, idolâtre, apostate, maudite et malfaisante ». Jean d'Estivet se fait particulièrement remarquer par sa haine et ses violences verbales contre l'accusée. Cauchon réunit un tribunal de plus de quarante membres, ecclésiastiques, pour la plupart normands. L'Université de Paris envoie une délégation. Participent aussi quelques Anglais, dont l'évêque de Norwich et deux membres d'ordres mendiants, Martin Ladvenu et Isambart de la Pierre. Une enquête confirme une nouvelle fois la virginité de Jehanne, ce qui dans l'esprit des accusateurs et la mentalité de l'époque lève tout soupçon de possession démoniaque. On veut surtout savoir si elle est homme ou femme. On la trouve «femme, vierge et pucelle». Boisguillaume rapporte «que le duc de Bedford se tenait en un lieu secret d'où il voyait examiner Jehanne». Jehanne considère certes que l'Eglise est gardienne de la foi des fidèles, mais affirme avec autorité que c'est aux commandements de Dieu qu'il s'agit prioritairement d'obéir et qu'en cas de contradiction Dieu l'emporte sur les prêtres. Cette affirmation de sa liberté dans son union avec Dieu permet à ses juges de la confondre comme hérétique. On l'accuse de sorcellerie et de relapse parce qu'elle porte des vêtements d'homme, qu'elle accepte d'enlever, puis reprend de peur d'être violée ou parce qu'on la viole, malgré les ordres formels de la duchesse de Bedford qui «fît défendre aux gardiens et aux autres de lui faire quelque violence». Les dominicains semblent l'emporter sur les franciscains, mais en apparence seulement, puisque Anne de Bedford appartient, elle aussi!... au tiers-ordre franciscain et n'est pas sans connaître le plan de substitution.

Jehanne disparaît jusqu'en 1436, mais des centaines de documents attestent sa présence, à partir de 1436, à Metz, Arlon (Belgique), Cologne (Allemagne) et Orléans. Elle est toujours reçue dans ces villes avec tous les honneurs. On la reconnaît donc. Sa mère adoptive, Isabelle deVouthon, ne criera jamais au mensonge ni au scandale, ses frères de lait non plus. Le 20 mai 1436, elle épouse Robert des Armoises - ou Hermoises - apparenté à Isabelle deVouthon, neveu d'Alarde de Chabrey, épouse de Robert de Baudricourt. Robert des Armoises, veuf et père de deux enfants, a aussi été son compagnon d'armes comme Gilles de Rais, le duc d'Alençon ou Jean d'Aulon. Les lignes qui suivent et correspondent à l'acte de mariage de Jehanne la Pucelle de France et de Robert des Armoises sont extraites de la chronique du doyen de Saint-Thibault ou Chronique de Metz, ville où s'installent Robert et Jehanne après leur mariage:

«Le vingtième jour du mois de mai 1436, la Pucelle Jehanne qui avait été en France, vint à La Grange- aux-Hormes, près de Saint-Privey. Elle y fut amenée pour parler à quelques seigneurs de Metz. Elle se faisait appeler Claude N. Le même jour, ses deux frères arrivèrent auprès d'elle. Aussitôt qu'ils la virent, ils la reconnurent, et elle les reconnut aussi. Elle fut reconnue par plusieurs détails pour la pucelle Jehanne de France qui amena Charles à Reims. Jehanne revint à Arlon, et là fut fait le mariage de messire Robert des Hermoises, chevalier, et de Jehanne la Pucelle.»

Qu'il y ait pu avoir de fausses Jeanne à partir de 1449, date de la mort de Jehanne (voir étude - très partiale – de Maurice Garçon) est possible, mais que Robert de Baudricourt et son épouse, et Robert des Armoises, de la même famille, n'aient pas été capables de reconnaître leur compagne de guerre, est tout-à-fait impossible. Plus impossible encore est que Robert des Armoises, de haute lignée, ait consenti à épouser une fausse « Jehanne » et qu'Isabelle de Vouthon et ses fils n'aient pas dénoncé l'imposture. Il n'est pas hasardeux de penser que, durant son «absence» ordonnée par prudence par Charles VII, Jehanne reste en contact avec ces deux chevaliers et bien d'autres: Dunois le Bâtard d'Orléans, Louis de Contes, Thomas de Monclars, Ambroise de Loré, Bertrand de La Tour... tous vivants en 1436 et bien au-delà de la mort de Jehanne, sauf Gilles de Rais qui meurt en 1440, pendu puis brûlé par l'Inquisition pour des crimes qu'il n'a pas commis. L'Eglise le condamne et le torture ignominieusement pour s'emparer de ses châteaux et de sa fortune. La main cupide et crochue de l'ecclésiastique Jean de Malestroit est à la base d'une des plus grandes machinations de l'histoire. On tente aujourd'hui de réhabiliter Gilles de Rais au milieu de grandes difficultés.

Et comment Jehanne ne continuerait-elle pas à jouir de l'appui des disciples de saint François!

Existe aussi un acte de vente de Haraucourt, notarié, passé par-devant témoins, portant la signature authentique des intéressés et des officiants:

«Nous, Robert des Armoises, chevalier, seigneur de Tichémont, et Jehanne du Lys, la Pucelle de France, dame dudit Tichémont, ma femme, licenciée et autorisée de moi...».

Pourquoi Jehanne du Lys? Parce qu'en 1429 Charles VII anoblit toute la famille d'Arc et ses descendants et exonère de tout impôt les habitants de Domrémy. Par cet acte, signé le jour même du mariage, soit le 7 novembre 1436, Robert met en fermage ses terres de rapport afin de permettre à son épouse d'équiper une petite troupe et de repartir en campagne avec Gilles de Rais.

Et enfin on retrouve dans les livres de comptes de la ville d'Orléans les sommes d'argent qui furent allouées à Jehanne à partir de 1436. Une mention, entre bien d'autres: au cours des réceptions officielles qui lui sont offertes entre le 18 juillet et le 1er août 1439, on lui donne une somme de 210 livres «pour le bien fait à la ville durant le siège». Suite à cette visite, la ville d'Orléans décide de faire supprimer les messes votives que l'on disait à la mémoire de « celle qui avait péri à Rouen ». Et enfin, les comptes de la ville nous informent également de l'année de sa mort : la ville pensionnait Isabelle deVouthon, veuve de Jacques d'Arc. Jusqu'en 1448, on indique pour chaque versement: « A Isabelle de Vouthon, mère de La Pucelle». A partir de 1449, on modifie les termes: « A Isabelle de Vouthon, mère de feue La Pucelle ».

Jehanne meurt donc en 1449, et Robert des Armoises la rejoint en 1450. On les enterre dans l'église de Pulligny-sur-Madon, au sud de Nancy. Lorsque des chercheurs émettront le désir de vérifier les dépouilles qui se trouvent dans le tombeau, l'évêque de Nancy interdira les fouilles. Le château de Jaulny, classé monument historique, dernière demeure de Jehanne et de Robert, est situé au cœur du parc naturel régional entre Metz, Nancy et Verdun. On peut y admirer deux magnifiques médaillons les représentant.

Mélanie LAFONTEYN

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